Vite, dispersons nous, nous allons la perdre dans les bois !
Les hommes se séparèrent, armés de bâtons et de fourches, ils étaient déterminés à ne pas rentrer bredouille.
Elle entendait leurs cris, et les aboiements des chiens lancés à ses trousses se rapprochaient dangereusement. Les ronces écorchaient ses pieds nus et les arbres précipitaient devant elle leurs ombres effrayantes, leurs branches griffant son visage. Sa fille serrée entre ses bras elle fuyait cette meute déchaînée qui voulait la brûler.
Sorcière ! Sorcière ! lui avait-on crié quand elle avait sauvé ce petit garçon tombé à l’eau et qu’on avait cru mort.
Elle n’avait pas hésité une seconde quand son regard avait croisé celui de la mère en larmes que soutenaient les femmes alors que les hommes sortaient du puits le petit corps inanimé. Elle s’était souvenue des gestes de son père le jour où un agneau s’était noyé dans la rivière. Elle les avait imités murmurant une prière, implorant le seigneur de redonner vie à cette âme si fragile.
Aurait-elle pu imaginer un seul instant que cet acte d’amour et d’innocence l’amènerait dans la forêt par cette nuit glacée ?
A bout de force et de souffle elle se laissa tomber dans la mousse de la clairière, elle embrassa son enfant et lui dit :
Louise, va te cacher derrière ce buisson. Surtout ne pleure pas et quoiqu’il se passe, promets-moi de ne pas bouger et de ne rien dire. Ce sera bientôt fini ! Je viendrai te chercher, je te le jure. Je ne serai pas moi, je reviendrai sous une autre apparence et tu devras écouter ton cœur lorsqu’il te parlera. Tu verras, tu me reconnaîtras. Je t’en fais le serment.
Elle poussa doucement l’enfant qui se faufila derrière un épais taillis, prenant soin de ne pas faire craquer le bois mort. Le souffle rauque du cheval du baron annonça la fin de la traque.
La voilà ! A mort l’enchanteresse !
Elle se redressa et d’un revers de la main essuya ses larmes, elle ne se laisserait pas traîner jusqu’au bûcher, pour rien au monde elle ne leur ferait ce plaisir. Alors, brusquement, elle tira de sa ceinture un long couteau à la lame effilée et d’un geste sûr se le planta dans la poitrine. Sans une plainte, son corps s’affaissa sur le sol dans un bruit sourd et la petite Louise étouffa entre ses doigts un cri d’horreur. Les poursuivants la regardèrent mourir sans faire le moindre geste et l’un d’eux la retourna d’un coup de pied brutal afin de vérifier que la mort avait bien fait son ouvrage.
Et l’enfant , s’écria t-il , où est l’enfant ?
Les loups s’en chargeront, ricana le baron.
Ils repartirent lentement ravalant leur haine, tellement déçus de ne pas avoir pu la brûler vive en guise d’exemple. Peu à peu le silence retomba et la nature reprit ses droits. Une chouette ulula, un loup, au loin, hurla à la lune et les petits rongeurs s’appelèrent de loin en loin donnant vie à la forêt toute entière. Louise, recroquevillée et terrorisée pleura longuement en silence.
Ce n’est qu’à l’aube que l’enfant osa sortir de sa cachette. Elle s’approcha de sa mère. Du haut de ses quatre ans elle ne comprenait pas, ne sachant rien de la mort même si au fond d’elle même l’angoisse lui serrait le cœur, elle lui prit la main et la supplia :
Maman ! Maman ! Maman réveille-toi , j’ai froid, j’ai peur... Maman s’il te plaît ! Tu as promis !
Elle resta assise à ses côtés, bien décidée à attendre son réveil. Mais, soudain une de ses larmes se mêla au sang de sa mère et une lumière étrange s’éleva du corps inerte. Louise se redressa et recula effrayée, auréolée d’une douce lueur blanche. De cette lueur naquit une libellule qui vint se poser sur l’épaule de la fillette. Elle comprit que sa mère n’avait pas menti et qu’elle ne l’abandonnerait jamais. Son cœur avait parlé, elle l’avait reconnue.
Si un jour vous rencontrez une petite fille sur votre route et que cette petite fille parle et rit toute seule en suivant le chemin tracé par une libellule vous saurez alors que la légende disait vrai.