Alors il plut. Immense torrent descendant du ciel et s’écrasant sur le monde. Milliers de petit miroir fonçant à pleine vitesse vers le sol et éclatant à son contact en milliard de petits gouttes. Elan divin du ciel pour purger la terre de ses salissures, pour redonner vie et faire sortir du sol craquelé la minuscule pousse si fragile. Larmes du ciel féconde, tu éclabousses la mère Terre de ta semence. Ecoutez le bruit de la pluie, écoutez le chant des gouttes, le murmure de la vie. Vous comprendrez alors qu’il y a dans ce monde des choses qui dépassent de loin l’humanité. Et comme elle était venue, l’averse s’arrêta comme si l’infini lui en avait murmuré l’ordre.
Elle était là dans sa cabane au fond du jardin. Une cabane remplie de pinceaux, de vieilles toiles, de feuilles ou étaient écris quelques mots sans suite, des poèmes morts avant de vivre, des tubes de peinture écrasés, disloqués, des vieilles cigarettes trainées un peu partout, des bouteilles de bières.
Et elle, elle était assise devant sa toile, le pinceau entre ses doigts. Elle devait avoir tout juste vingt ans, ses cheveux noirs coulés sur ses épaules, elle était vêtue d’une simple robe blanche. Ses beaux yeux verts scrutaient les profondeurs de sa toile pour chercher l’inspiration et se tournaient quelque fois vers la fenêtre qui se trouvait à droite de son esquisse. Cette fenêtre donnait sur un vieux chêne entouré de petits buissons, derrière on apercevait un petit étang gardé par des saules pleureurs. Etrange paysage, des branches du chêne coulaient sans s’arrêter des gouttes de pluies qui disparaissaient dans les profondeurs des arbustes au pieds du vieil arbre.
Ses yeux se tournèrent alors vers le ciel, un ciel déchiqueté, des nuages noirs dispersés et traversés d’immenses rayons de lumière. Lumières grandioses qui font jaillir dans l’imagination mortelle l’image d’une divinité timide, cachée derrière les nuages.
Ses yeux devinrent lumineux comme si un de ces rayons l’avait traversé de la tête, en passant au cœur pour sortir par ses orteils. Un sourire commença à éclore de ses lèvres. Ses mains frémirent et alors, doucement le pinceau bougea. Il effleura la toile, étrange bruit que le frottement des poiles d’un pinceau. Alors se fut une pluie de couleurs, cyan, magenta, pourpre, jaune, orange. La lumière se fit plus forte dans les cieux, elle peint avec plus d’acharnement. On aurait dit un chef d’orchestre menant à la baguette les musiciens nommés couleurs. Sous la pluie colorée commença à germer un chêne, quelques arbustes. La peinture, c’est la poésie des couleurs.
Le peintre est l’égale du poète ou de l’écrivain. Quand on assiste à la mise en marche du pouvoir d‘un artiste, on assiste à l’apothéose d’un simple mortel. Ils créent des mondes, des êtres, des hommes à l’aide de simples lettres ou couleurs. Sont-ils les transmetteurs du langage divin de la nature ? Nous ne le savons. Ils sont d’étranges mortels car ce sont les musiciens de l’âme humaine. Ils connaissent les secrets de la harpe nommée homme. Par leur doigts, ils font éclore les notes de la joie, la tristesse, la colère, la peur.
Cette jeune déesse était là, sereine, entrain de créer un nouveau monde, Elle s’arrêta et contempla son chêne, ses arbustes, sa toile. Et alors souriante, elle sortit un paquet de cigarette de sa robe et une boîte d’allumette d’un tiroir. Une cigarette allumée entre ses fines lèvres, elle fuma, doucement, avec plaisir, en prenant son temps. Elle se leva et chercha quelque chose derrière une pile de papier. Une boîte, une longue boîte en bois, c’est-ce qu’elle sortit.
Et de cette boîte surgit un violon et un archet. Elle se rassit sur son tabouret, le violon sous le menton, l’archet dans sa main droite et la cigarette entre les lèvres. Si quelqu’un aurait observé le violon, il aurait constaté qu’il était particulièrement vieux par son odeur, son état. Il aurait remarqué une date et un mot qui avait l’air d’avoir été gravé dans bois à l’aide d’un couteau. Voila ce qui était gravé :
« Heurtebise
1950 »
Premier coup d’archet, une légère note surgit dans les airs, la musicienne sourit de contentement. Alors doucement et tendrement, elle se mit à jouer la mélodie de la chanson de Lucienne Boyer, Mon cœur est un violon.
Et elle se mit à chanter d’une voix si belle mais pourtant si triste qui aurait fait pleurer la Mort, elle-même. Dans cette voix, il y avait une quête, un souvenir, un appel, une demande.
Le soleil transperça et brûla les quelques nuages qui restaient dans les cieux, la lumière inonda la terre, le chêne et les arbustes se mirent à briller de milles feux tels des petits phares éclairant cette petite clairière. La vie éclata. Soudain, petits rossignols, merles moqueurs, fiers rouges-gorges, timides mésanges se mirent à accompagner de leurs jolis chants la belle voix de la jeune fille et du vieux violon.
Elle était si jolie, si un passant l’aurait vu à ce moment là, il serait tombé fou amoureux. Ses beaux yeux bleus, ses cheveux inondés de soleil, ses jolies mains qui tenaient fermement l‘archet et le violon, sa petite bouche d’où sortait ces si belle paroles, sa petite robe blanche, sa peau couleur pêche, ses dents blanches, son petit nez en trompette étaient créateur d‘amour dans le cœur des naïfs hommes. Ce passant aurait frissonné, peut-être pleuré, mais ce qui est sur c’est qu’ il l’aurait aimé ardemment. Ah qu’elle était belle ! Hélas son cœur n’était pas libre, il appartenait déjà à quelqu’un d’autre.
Une larme coula sur son jeune visage, soudain, un craquement dans la cabane, elle se retourna. Rien ... Alors ses yeux se déchirèrent, des larmes glissèrent sur ses petites joues roses. Elle jeta le violon et l’archet sur un tas de feuille, prit une bouteille de bière et en bu une longue gorgée. Elle essuya ses larmes sur sa manche et prit une autre gorgée. Alors elle prit un couteau dans un tiroir, le leva et resta immobile le bras levé. Elle l’abattit avec force et sans faiblir. Elle était déchirée, la toile. Le couteau était planté dedans, elle fit un cercle dans la toile. Un énorme O était désormais présent sur la toile comme une cicatrice brûlante. Elle recommença à pleurer de plus belle. La bière tomba par terre et éclata en mille morceaux. Recroquevillée sur son tabouret, elle pleurait.
Soudain un énorme grondement, le ciel s’ouvrit, un immense éclair transperça le ciel. Les larmes célestes coulèrent.
Elle se leva et sortit, marcha vers le chêne et s’arrêta sous le ciel noir. Ses yeux fixèrent le monde d’en haut et elle le maudit le poing levé. Elle n’avait plus peur, elle était sorti pour affronter le monde. Et elle chanta, sa voix était si forte qu’elle submergeait le bruit des gouttes et de l’orage. Des paroles incompréhensibles sortaient de sa bouche. Des paroles étrangement belle et à la fois étrangement effrayante. Il y avait de la haine dans sa voix. Soudain, elle partit en courant. On ne la revit plus. Alors l’orage redoubla de violence.
-
Elle et la Pluie
...
- Accueil
- Elle et la Pluie