Il n’y eut aucune réponse, pas même le bruit du vent dans les arbres à l’extérieur. Les lieux semblaient déserts et Yué commençait réellement à s’impatienter. Il soupira, un peu excédé de s’être déplacé probablement pour rien. On ne prenait même pas la peine de venir accueillir la jeunesse ici !
Je dois peut-être m’arranger tout seul ? Ce n’est pas que ça me dérange. Ca me fait même très plaisir.
Son sourire revint, pour quelques secondes, orner ses lèvres. Il n’y avait donc personne pour surveiller les entrées et les sorties. En voilà une très bonne nouvelle dans sa mauvaise journée ! L’idée de s’éclipser en douce lui traversa l’esprit un bref instant. Personne ne s’en apercevrait. Personne sauf peut-être madame la juge qui se ferait un plaisir de l’envoyer en taule au premier écart de conduite.
Bah ! , s’exclama-t-il. Tant pis, je vais me prendre une chambre au hasard et si ça ne plaît pas, j’m’en fous. »
Il promena à nouveau son regard sur les alentours. Au premier coup d’œil, on aurait pu dire que c’était un jeune qui cherchait à réaliser quelque chose de peu constructif avec les nouveaux éléments mobiliers qui constituaient son nouvel environnement. En réalité, Yué n’aimait pas se retrouver dans un lieu qui lui était inconnu et il avait besoin d’en reconnaître les moindres recoins avant d’avoir l’esprit tranquille.
Les murs étaient d’un blanc délavé par le soleil, pas un seul meuble n’ornait le reste de ce hall censé être accueillant, pas un seul fauteuil, mis à part peut-être une plante verte à moitié desséchée qui trônait dans un coin un peu en retrait près de l’escalier du fond. C’est à ce moment que le regard de Yué fut attiré par une porte vitrée qui était entr’ouverte juste de l’autre côté de l’escalier. Yué préféra en avoir le cœur net, autant savoir quel trésor recelait cette pièce. Silencieusement, tel un chat approchant sa proie, il se hasarda à pas de loup dans le périmètre. La première idée qui lui traversa l’esprit fut que cette pièce en retrait soit en réalité le bureau de la fameuse secrétaire. A sa grande déception, il était tout juste indiqué sur la porte, par une belle trace de lettres en sérigraphies aujourd’hui disparues : salle d’attente. Pour de l’attente, ici, il était certain qu’on devait vraiment attendre un bon moment. Il entra dans une pièce assez poussiéreuse avec des fauteuils dont le gris avait changé de couleur avec le soleil. De la mousse en sortait, sûrement éventré à coups de couteau par des jeunes aussi exaspéré que lui d’attendre de façon interminable dans ce nid à toiles d’araignées. Il contourna une petite table basse en bois au centre de la pièce, jonchée de magazines féminins. Vraiment pas le genre de lecture que lisaient les jeunes garçons qui débarquaient dans ce taudis. Un store aussi décrépi que tout le reste pendait à la fenêtre donnant une magnifique vue panoramique sur la cour.
Le grincement du portail et le bruit des pas sur les gravillons attirèrent son attention. Ainsi, la vie existait dans ce centre. Il resta à sa place, derrière le store, sans bouger, de façon à voir sans être vu et écarta discrètement un rayon pour regarder à l’extérieur. Il aperçut alors un tout jeune garçon qui avançait dans la cour. Ce qui frappa d’abord Yué, c’était que le garçon paraissait bien jeune, trop jeune pour être envoyer ici.
« Merde alors !, pensa-t-il. Un gamin ! Dans quoi j’ai débarqué, moi ! Je vais me taper le titre de doyen ! »
A première vue, le gosse ne devait pas avoir plus de quinze ans, une petite racaille qui devait se la jouer punk avec tout son attirail. Il détailla d’un coup d’œil rapide et amusé l’accoutrement du petit. Il avait les oreilles percées, une puce sur le lobe gauche et une croix noir suspendue sur la droite. Il portait une veste noire à manches longues couvertes de poches, de fermetures zippés et de sangles qui pendaient de tous les côtés. Le pantalon allait de paire avec le reste des vêtements, c’était une espèce de pantalon dont les jambes étaient cerclées de sangles tachés de rouge comme du sang et aux pieds du gamin, trônait une magnifique paire de New rock bien ferraillée. Yué remarqua qu’il portait une besace sur le côté gauche et que la main de l’adolescent y était posé comme s’il protégeait un trésor. Il avançait d’un pas hésitant. Yué posa son regard sur le visage de celui-ci, essayant de voir plus clairement sa physionomie. Au moment où il s’allumait une cigarette, Yue put constater que l’enfant était métissé car à la lueur de la flamme, ses yeux brillèrent d’un beau vert émeraude et éclairèrent ses cheveux d’un joli châtain clair. Le gamin fumait tranquillement en observant le bâtiment, nullement pressé de savoir si on l’attendait à l’intérieur ou pas.
« Il est vraiment tout jeune ! Qu’est-ce qu’il peut bien foutre ici ? »
Le style vestimentaire du petit jurait avec son petit visage d’ange aux traits doux et enfantins. Autant dire que ça ne lui allait pas vraiment, à croire qu’il avait quelque chose à compenser pour vouloir se donner l’air d’être quelqu’un de dur et fort qu’il ne fallait pas trop chercher. Le gosse tentait d’avoir l’air sûr de lui en fumant. Pourtant, Yue remarquait aisément la crispation de sa main sur son sac et il pouvait presque voir sa main trembler quand il portait la cigarette à sa bouche. Le garçon finit par jeter son mégot à terre et l’écrasa sous son pied avant de reprendre sa marche en prenant une dernière fois une profonde inspiration pour se donner de la contenance. Il entra dans le centre sans faire de grands fracas et passa devant la pièce où se tenait Yué. Ses pas s’arrêtèrent devant la porte durant un laps de temps qui semblait s’éterniser. Yue se demandait s’il allait entrer ici aussi. Il s’éloigna un peu de la fenêtre pour ne pas que le petit s’imagine que Yué l’avait épié. Il l’entendit reprendre son chemin et s’éloigner lentement, à pas de velours tel un félidé cherchant faire le moins de bruit possible.