Cela faisait des heures qu’il marchait dans le froid, relevant juste la tête de temps en temps pour jeter un regard bleu acier sur la direction où ses pieds l’entraînaient. Sa monture était morte la veille de fatigue, cette même fatigue qui avait depuis longtemps gagné tout ses membres et seul sa volonté lui permettait encore de continuer. Autour de lui, neige et montagne à perte de vue...Le vent, sec et glacé, soufflait de plus en plus en fort sur le morne décor immaculé qu’il parcourait avec peine et de sombres nuages s’amoncelant dans le ciel au-dessus de lui ne laissaient rien présager de bon.
Konrodh posa un genou à terre et dégageant son visage des lambeaux de fourrure qui le protégeaient aspira une grande bouffée d’air glacial, celle-ci lui fit l’effet d’une stimulante gifle. Il secoua vivement la tête, faisant voler dans le vent les quelques mèches d’un blond délavé qui dépassaient de sa capuche puis se frotta vigoureusement la figure avec une bonne poignée de neige. Tenir, il me faut encore tenir, je ne dois pas craquer maintenant... Déposant le mince sac de cuir qu’il portait sur le dos au sol et jugeant le moment opportun, Konrodh décida de faire le compte de ses maigres ressources. _ Il avait quitté Nobruskh, la capitale kéorgish, depuis plus d’une semaine. Il en était parti avec précipitation, sa tête mise à prix, une horde de féroces guerriers assoiffés de sang à ses trousses et le pire : il avait laissé derrière lui son épouse avec un seul regret, celui de n’avoir pu la tuer... Ah les femmes...Cela avait pourtant bien commencé... j’aurais mieux fait de me cassé une jambe au moment ou mon regard a croisé celui de cette vipère des neiges !
L’inventaire de ses biens fut rapidement fait : cinq morceaux de viande découpés sur feu sa monture, du pain de voyage nain, sa hache de bataille héritée de son père adoptif, ses pierres à feu, deux dent appartenant à son beau-père, une boite de bouton en os, plus une dague de la même matière, ébréchée, que sa tendre moitié lui avait plantée dans le bras au moment de leur rapide séparation... Il regarda son avant-bras gauche, le manchon de fourrure blanche avait pris une teinte rouge sombre ; se tournant pour regarder derrière lui il constata, amer, que des tâches sombres sur la neige balisaient son chemin. Ma blessure s’est réouverte, malgré le froid... Depuis combien de temps est-ce que je perds mon sang ? Et je n’ai rien remarqué... Je ne fais que leur faciliter la tâche... Dans mon malheur, je ne peux qu’espérer qu’il se mette à neiger pour dissimuler les traces de mon passage ! Il faut que je trouve un abris pour soigner ça sinon je vais finir par me vider de mon sang... Ô dieux ! Accordez-moi encore votre aide...
Dégainant sa dague, il entreprit de découper une mince bande de fourrure dans sa cape pour se confectionner un autre bandage. En attendant mieux si j’arrive à m’en sortir... Une fois celui-ci placé sur son bras, il se releva en s’appuyant sur le manche de sa hache. Soudain un hurlement attira son attention. Les loups... Ainsi mes vieux amis ne m’ont pas quitté, ils me préviennent une dernière fois... Les kéorgs m’ont retrouvé... Maudite blessure !
Résolu, le nordique repris sa marche forcée au travers de ce paysage gelé, avec comme perspective, une mort certaine derrière lui et une mort plus que probable devant lui. Foutue bestiole ! Pourquoi a-t-il fallu qu’elle meure ?... Bien sur que je connais la réponse ! Sur un troupeau de mohumps laineux, il a fallut, évidemment, que je prenne la bête la plus vieille et la plus malade. Au moins je pouvais me réchauffer auprès d’elle, mais désormais... je vais devoir faire sans.
En plus, sa viande, me donne des crampes d’estomac... Sale carne !
Après un temps qui lui parut infini, il arriva au pied d’une montagne dont les sommets escarpés entourés de brumes donnaient l’impression d’une mâchoire titanesque voulant déchirer la voûte céleste. Enfin ! Le Mont Daros... J’aurais fini par le trouver, malgré tout... Les Dieux ne m’ont donc pas abandonner ! Enfin, eux ou le hasard... Il s’arrêta pour le contempler comme l’on contemple une figure divine. Malgré l’importance de l’épais manteau neigeux qui recouvrait la montagne, Konrodh pouvait voir ça et là des endroits plus sombres, presque noirs, et même des « trous » d’où sortaient des volutes d’une fumée cendrée. Ainsi ce vieux fou de Marak disait vrai ! La montagne des Dieux est creuse et son cœur est brûlant... Il leva sa main valide pour couvrir son regard et jaugea la difficulté de son ascension à venir. Vu mon état, ça risque d’être drôle ! Il avisa l’entrée d’une grotte à, peut-être, mille cinq cent pas en amont. La nuit sera bientôt là, les kéorgs aussi... Je dois atteindre cette entrée au plus vite, sinon ils me rattraperont et m’enverront retrouver mes ancêtres après les « castration et décapitation d’usage », ou bien je finirai par me transformer en statue de glace, je ne sens d’ailleurs presque plus mes jambes... Ces fous pourraient me trouver gelé et quand même me couper la...
Une ardeur nouvelle lui vint après qu’il eut profondément réfléchi à ce qui l’attendait... Il se restaura rapidement sur ses maigres provisions puis commença l’ascension du mont sacré. Konrodh avançait difficilement, serrant les dents lorsqu’il utilisait son bras blessé, s’aidant de la pointe de sa hache comme d’un piolet et louant, entre deux jurons, les vertus isolantes et chauffantes de l’épaisse fourrure du bromworg blanc géant unicorne de Svéara Centrale...
Arrivé à mi-chemin, il fit une pause et tourna la tête pour regarder en contrebas... Malgré la pénombre ambiante, il put apercevoir une centaine de formes semblant se regrouper au pied de la montagne sacrée. Il arrêta de les compter passé le mirifique nombre de dix, victime d’une fulgurante migraine... Les voilà... Je ne pensais pas qu’ils viendraient aussi nombreux, ils ont aussi pensé à prendre des torches... contrairement à moi...
A quelques mètres sous lui, il entendit des projectiles frappés la parois. J’avais entendu dire que leurs arcs portaient loin mais quand même ! Et puis comment font-ils pour me voir alors qu’il fait presque nuit ? Soudainement, il poussa un énorme et bruyant juron... Il avait baissé la tête et remarqué que la paroi de pierre qu’il escaladait était d’un beau gris sombre, presque noir... Lui, était habillé de blanc, un blanc presque luminescent en ce glacial début de soirée... Oh Dieux ! Ce que je peux être doué... Encore plus pressé, il reprit sa séance de grimpette, maudissant, entre deux cris de douleur, la trop voyante fourrure de ce même bromworg loué quelques instants plus tôt...
Au moins le vent, terrible en cette saison, semblait maintenant décidé à lui foutre la paix.
En bas, les féroces guerriers Kéorgs avaient arrêté de tirer. Certains étaient en train de décharger les bêtes, d’installer le campement, de monter les tentes de peaux et de préparer le repas...D’autres, assis dans la neige, se réchauffaient en buvant du klush, l’eau-de-vie locale et faisaient des paris sur les chances du nordique d’atteindre son objectif, sur sa plus que certaine chute à venir, ou bien encore du côté sur lequel il tomberait ; le ventre, le dos, debout comme une flèche où peut-être sur la tête... Mais qu’est-ce qu’ils foutent ? Ah les fils de trolls, ils attendent que je me casse la gueule !
Piqué au vif, Konrodh, redoubla d’effort, malgré sa souffrance, pour parvenir à l’entrée de la grotte et quelques heures plus tard, dans les ténèbres de la nuit, après avoir sué sang et eau, il parvint à la corniche tant convoitée. Alors se retournant une dernière fois, il leur jeta un regard empli d’un franc mépris. Bande de magshegs ! Vous vouliez que je tombe ? Regardez-moi ! Je suis toujours là ! Regardez un homme des neiges, un vrai !...
Et s’appuyant sur le bord pour se relever, sa main gauche se posa sur un éclat de roche effilé, lequel déchirant sa moufle, lui rentra dans la paume... Son beuglement de douleur résonna dans toute la montagne et celle-ci, de façon aussi brutale qu’inattendue, lui répondit...
Subitement, il y eut comme un bruit de tonnerre venant du sommet, comme si le ciel se déchirait... Parce qu’il avait été élevé dans la montagne et la discipline de la neige, Konrodh reconnut immédiatement ce bruit annonciateur de destruction et de mort et poussé par toute une vie de réflexes (surtout par la peur de se faire écrabouiller...), il se jeta dans l’entrée de la grotte. Le mont Daros sembla trembler et gronder durant cent vies d’homme, puis doucement, tel une brise, le calme revint...
De la centaine de kéorgs partis à la poursuite du barbare aucun ne devaient revenir, ceux-ci, surpris par le déluge de glace, n’en réchappèrent pas.
Et bientôt, la légende du Dieu Blond se répandit dans les tribus et autres clans du Nord. La légende d’un dieu venu parmis les mortel, pour féconder les plus belles femmes kéorgish et mener les plus braves combattants de ce peuple élu à la Bataille Ultime où tous devaient acquérir l’immortalité pour être ensuite conduits dans le Palais Céleste aux Mille Portes d’Or... Du moins, c’est ce que les plus optimistes imaginèrent... Aucun ne voulant croire qu’un simple et stupide nordique ait pu vaincre une centaine de guerriers d’élites rompus à tout les combats... Même par accident...
Lorsque Konrodh reprit conscience, de nombreuses heures s’étaient écoulées depuis l’avalanche. Avec une certaine appréhension, il constata qu’il était plongé dans le noir. Fortement imprégné de la superstition des gens de son peuple, il vivait en imaginant que des démons attendaient dans le noir complet le moment propice pour commettre leur sombres méfaits, tendant vers lui d’invisibles griffes pour lui déchirer l’esprit et le corps puis s’emparer de sa force ou de sa virilité... Enfin, jusqu’ici, se disait-il, cela n’était pas encore arrivé... Jusqu’ici...
Cherchant à tâtons, il retrouva l’entrée de la grotte. Celle-ci était malheureusement obstruée par d’énormes blocs de glaces, trop nombreux et trop gros pour être déplacés... Se faisant alors une raison, il décida, toujours à tâtons, d’aller de l’avant et s’engagea, tout les sens en éveil, plus profondément dans la grotte...
Apparemment, il se trouvait dans un étroit boyau, il pouvait en effet toucher les deux murs opposés rien qu’en écartant les bras, de plus, à en juger ses bosses fraîchement acquises sur la tête, le plafond était lui plutôt bas... Décidément, l’histoire ne fait que se répéter... Où suis-je encore aller me fourrer ? Ô Dieux ! Où êtes-vous quand j’ai tant besoin de vous... Et comme pour répondre à sa silencieuse prière, une lumière apparut du fin fond de la galerie ; reflétée par les parois rocheuses recouvertes de glace, celle-ci inonda la grotte et aveugla momentanément Konrodh, qui, résigné, s’installa alors par terre pour attendre calmement que cela passe...
Une fois remis, il en profita pour s’occuper de ses blessures, (constatant, embarrassé, que sa main gauche ne saignait pas du tout), manger un bout, se vider la vessie et sucer quelques glaçons... Là où il se trouvait, il ne pouvait voir l’origine de cette mystérieuse clarté. Je me demande ce qui m’attend devant... oh de toutes façons, ça ne pourrait pas être pire que cela ! Soudain, un feulement rauque retentit dans toute la caverne... Le barbare soupira. Ça pouvait pas être pire ? Abruti... Ça m’apprendra à penser trop fort... Le bruit, draconesque sans aucun doute, venait du fond de la grotte. Bon ben comme disait Gorwall, quand la bière est par terre, faut l’éponger... Konrodh jeta un bref coup d’œil en direction de l’entrée obstruée puis prenant son courage et sa hache à deux mains, il se dirigea d’un pas mal assuré vers la source de lumière et de l’inquiétant cri pour faire face à son destin... C’est comme ça que tout mes ennuis commencent en général, une entrée, un couloir, une porte... Et puis des femmes ! Ô Gaëlder, mon Père, guide-moi, montre-moi la voie et donne-moi le courage de mourir en nain digne...
To be continued