Il planait dans la pièce comme une odeur nauséabonde de mauvaise nouvelle. Ils avaient l’art aussi, longuement expérimenté, de mettre les gens mal à l’aise, de les placer dans une situation d’infériorité. Cela les réconfortait incontestablement dans leurs missions et, cerise sur le gâteau, ils étaient alors seulement fiers d’arborer leur titre pompeux d’inspecteur, de le jeter à la face du monde soit disant médusé.
Eléonore et Greg s’étaient rapprochés de la scène. Debout, un peu en retrait derrière les deux policiers, ils les observaient incrédules du coin de l’œil. Fait étonnant, ils n’avaient encore subi aucune agression verbale de leur part. Pas de question sur leur identité, sur leur présence, rien... les deux ombres attendaient vraisemblablement le moment opportun. Assis côte à côte dans le canapé gris, le grand mince et le petit courtaud, s’apparentaient plus à Brett Sinclair et Dany Wilde ou à Laurel et Hardy, l’humour en moins, qu’à un tandem de choc de la criminelle régionale.
L’inspecteur Ducouret, sur un ton pour le moins sarcastique, le regard inquisiteur, prit la parole et s’adressa à Julia.
- Donc si j’ai bien compris et selon vos dires vous êtes Julia Klaus, vous habitez ici à la rue des Artisans, vous avez une trentaine d’années... d’après mes informations vous vivez seule depuis peu, apparemment vous avez des amis, il lança un regard derrière lui, et dernièrement, après une vive altercation, vous avez congédié votre compagnon, un certain Pablo Tagarmo, de nationalité portugaise... quand l’avez-vous vu pour la dernière fois ?
- Euh ... vous me prenez au dépourvu ... si ma mémoire ne me fait pas défaut cela remonte bien à une semaine.
- Vous pourriez être plus précise...
- Cela devait être dimanche dernier dans le courant de la matinée vers dix heures.
- Et depuis lors plus de nouvelles ?
- Euh... et bien en fait j’allais justement vous appeler pour...
- Oui... dépêchez-vous, nous n’avons pas toute la nuit.
- Je crois que le plus simple serait de m’accompagner dans la chambre à coucher, ça pourrait vous intéresser...
- Non ce sera pour plus tard ... je suis désolé, faute de temps, de devoir ainsi manquer de tact mais cette nuit Pablo Tagarmo s’est donné la mort.
L’annonce de la mort de Pablo fit chanceler Julia. Eléonore se précipita sur sa sœur, parvint de justesse à la happer par le bras lui évitant de se fracasser le crâne sur le coin du meuble. Elle la soutenait de son mieux, lui parlant à voix basse, la réconfortant du mieux qu’elle pouvait.
Julia était livide, quasiment transparente. Eléonore l’entraîna doucement vers un fauteuil resté libre et l’aida à s’asseoir. La tête dans les mains, Julia secouait la tête de gauche à droite en psalmodiant des « c’est pas possible, c’est pas possible ... ».
Après quelques minutes, s’étant ressaisie, Julia essuya la dernière larme sur son visage et s’adressa à l’inspecteur Ducouret.
- Regardez Inspecteur, j’ai ici une lettre de Pablo... il me donne un rendez-vous... il ne devait pas se suicider... je devais encore le rencontrer pour lui parler, pour lui expliquer...
- Montrez-moi cette lettre !
Julia sortit la lettre de sa poche et la tendit fébrilement à l’inspecteur.
- Où étiez-vous il y a deux jours ? lui demanda-t-il sur un ton soupçonneux après avoir méticuleusement lu la lettre.
- J’étais en voyage à l’étranger. Je suis rentré hier dans la soirée, je suis passé chez une amie et nous avons décidé de sortir en boîte.
- Vous n’êtes pas repassé à votre appartement ?
- Non, en rentrant je suis directement allé chez mon amie.
- Tenez lisez ! Lisez la date dans le coin inférieur gauche !
Il rendit la lettre à Julia. Elle était datée de deux jours auparavant.