Ayant enfin reconnu que la faiblesse est une force profonde, bien plus riche et
forte que les artifices que l’homme s’offre pour satisfaire le "Je", les
représentants des genres et des espèces se sentirent plus proches les uns des
autres.
Du coup, Loup et Chouette éprouvèrent le besoin d’allumer un feu.
Et là, Séquoia se sentit très visé et même contrarié.
Les deux animaux (à sang chaud pourtant) regardaient ses branches, sans avoir
l’air de trop appuyer, mais quand même... En imaginaient déjà les braises qui
naîtraient des fines ramures et leur odeur précieuse se répandant sur la
banquise.
Lichen se sentit lui aussi quelque peu concerné.
Il fouilla à toute vitesse dans ses ressources de pensées qui étaient vastes
("Toute surface froissée est plus vaste qu’une surface plane de même diamètre"
Mathématique galacticale, volume X) et dit :
Lichen : ce ne serait pas une très bonne idée, une bonne peut-être, mais une très
bonne, non...
Sequoia : Et le Mieux est l’ennemi du Bien !
Loup : il ne s’agit pas de cela, il s’agit qu’il fait froid.
Lichen : Peut-être en nous serrant les uns contre les autres produirons-nous
cette chaleur ?
Pierre Nue : N’étant ni chaud ni froid, cette histoire de feu m’indiffère.
Lichen : Pourtant, tu es pour beaucoup dans la naissance du feu.
Loup : Tu as raison, viens Chouette, viens à coté de moi, ton duvet va réchauffer
mon pelage, et viens, Pierre, viens dans le cercle d’amour.
Chouette : Sans intention...cachée.....hein ?
Loup : mais nooooooon !!
Ainsi fut fait.
Et après un temps de réflexion Lichen Froissé dit :
"L’Amour est une des sources d’énergie fine..."
Les représentants des genres et des espèces restèrent bouches bées devant la
réflexion de Lichen Froissé..Et se mirent à réfléchir à ce que pourrait être
une définition de l’énergie fine.
Pour Loup, elles étaient semblables à la trace d’un lapin dans la neige ou,
mieux encore, à celle d’une chouette consentante.
Pour Pierre et Séquoia, elles faisaient partie de la nature et chacun pouvait y
avoir accès, simplement les portes en avaient été oubliées et les clefs jetées
comme celles qui ouvrent toujours -si on veut bien le faire- les troncs des
arbres et les rochers.
Pour Chouette qui était persuadée que ses yeux d’or, dans leur trajet de plus en
plus fréquent vers les agates du Loup, recélaient eux aussi une forme d’énergie
fine.. qui en outre était la seule à vraiment bien voir dans la nuit.. et enfin
aimait par dessus tout à se faire remarquer... l’Energie fine était de l’ordre
de l’invisible et de l’inchiffrable.
Lichen résuma : Je n’ose dire que l’homme est un Loup pour l’homme donc je dis :
"L’homme parasite la nature....."
Chouette : Tu peux parler, toi !!
Chouette : O O ..... ....... ......
Lichen :..Il a su transformer bien des choses en énergie dense, mais a oublié
toute cette matière subtile dans laquelle il baigne, celle que produit son
mental, sa haine ou son amour, et qui peut être d’un prodigieux effet
destructeur ou constructif.
Loup : Construisons une machine à capter les Energies fines. Nous aiderions
Séquoia : Demandons aux éléments de nous venir en aide, eux savent ce qu’il faut
faire pour les rétablir dans leurs droits.. Ainsi le Monde sera de nouveau à sa
place.
Ainsi fut fait.
Pendant que Lune se rendormait contre le Soleil, qui se surprenait à caresser
les courbes blanches de ses hanches, les délégués des espèces et des genres
convoquèrent les Esprits des quatre Eléments.
Ceux-ci arrivèrent promptement. Cela faisait si longtemps qu’on ne les écoutait
plus qu’ils se sentirent tout ragaillardis.
"Que peut-on faire pour vous ? "tonna esprit de Feu.
Cette voix sema une panique chez chacun qui alla se cacher derrière le moindre
fractale encore présent à cette heure de la nuit.
Lichen : Nous aimerions comprendre l’homme et l’aider à ne pas se détruire et
nous avec, en lui offrant un objet qui capterait tout ce qui tisse le plumetis
de son espace, son temps, sa conscience, ses actes.
Alors les Eléments posèrent leur beau Bâton Sacré qui avait si souvent en
d’autres temps fait le lien entre la terre et le ciel, puis s’assirent avec
simplicité
Dans le cercle d’amour
Et parlèrent tour à tour.
Terre :
Le Monde n’est que messages
Le Monde n’est que formes
Qui attendent matrice
Les choses n’ont pas de norme
Et le Vrai est caprice.
L’homme doit retrouver ce savoir qui lui permettait de recevoir.
Vent :
L’air n’est pas simplement
Rempli des débris du vent
L’air ne porte pas que l’odeur
De l’amour et des fleurs
L’air peut nourrir celui qui a
Faim d’autres nourritures
Mais il faut un esprit pur
Pour réapprendre à respirer
Le Prana.
L’homme s’invente des faims qui ne le nourrissent pas.
Lichen Froissé qui se prenait parfois pour Yoda pensa :
"Beaucoup encore à apprendre j’ai.....".
Chouette regardait avec une tendresse qui faisait s’ébouriffer les plumes de son
cou les yeux brillants de Loup. Elle se sentait tout à coup une secrète
attirance pour cet animal qui, quelques heures plus tôt, l’aurait volontiers
changée en plat principal.
La nuit semblait ne plus jamais vouloir s’ouvrir et elle était douce, douce...
Il circulait entre eux tous, dans ce plasma où ils étaient plongés, une énergie
sans nom qui les attachait les uns aux autres sans les emprisonner.
Eau se leva :
Nous sommes fruits de notre histoire
Et graines d’autres histoires
Vivre l’instant présent est bon
Mais on ne peut arrêter les vagues
Et leur flux et leur reflux.
L’homme doit se réapproprier l’impermanence des choses.
Tous virent alors Feu, qui était le plus âgé et semblait le plus sévère, se
déplier lentement, prendre son Bâton de Sagesse et tracer au sol une ligne qui
reliait chacun aux autres dans le cercle.
Il dit :
Le feu a pour support le bois
Ou bien le nuage.
Sans l’un et l’autre le Feu
N’existe pas.
De même l’Homme a oublié
Qu’il n’est pas seul, qu’il dépend.
L’homme doit réapprendre l’Adhérence.
Alors Lichen qui avait tout bien écouté et entendu dit : Nous allons pouvoir
construire cette épuisette à capter les énergies fines. Elle devra reconnaître
la nature profonde de ces fluides et les transformer, quels qu’ils soient, de
façon à réensemencer l’homme et la Terre.
Ainsi fut fait.
Celle-ci devait être suffisamment simple pour que les hommes en saisissent au
premier regard le fonctionnement et puissent en faire bon usage.
La Terre se réduisit en poudre.
L’eau la mouilla.
Le Vent la modela
Le Feu la cuisit.
La vasque ainsi obtenue et dans laquelle flottait une subtile lueur reçut aussi
une idée d’Amour, à la demande de Chouette qui n’avait désormais plus d’yeux
que pour les yeux de Loup.
Cette vasque analysait la composition fine de l’énergie qui se dégageait de tout
être se penchant au-dessus d’elle ou passant à proximité.
Elle transformait amour, envie, haine ou simplement bêtise, en fins rubans
colorés qui s’échappaient comme des anguilles, ré-ensemençaient la terre de ses
fleurs et arbres perdus, adoucissaient le cœur, fournissaient enfin la juste -
juste - énergie nécéssaire au bon fonctionnement de toute chose, y compris
celles résultant de mauvais bricolages.
Ils portèrent cette vasque au premier Grand chef rencontré sur leur route qui
fut longue.
Ils le trouvèrent assis sur un char, contemplant de ses yeux petits et sots le
désastre encore fumant semé par ses soins sur la planète entière.
Pour donner la mesure de leur pouvoir, les rubans ayant lu la sottise
insondable de ce chef l’étreignirent jusqu’à lui faire perdre toute envie de
donner à tout jamais quelque ordre que ce soit.
Puis récupérèrent la sottise de ses yeux et firent leur devoir.
Ayant négocié pour l’éternité leurs droits sur la machine, les esprits et
délégués s’en retournèrent vivre confiants en l’avenir sur la banquise,
Chouette murmurant aux oreilles de Loup des choses très douces ...qui leur
appartiennent...