La Main de l’Inde
Chapitre 1
Bienvenue à Lyon
Il avait vécu sur une île très agréable, l’île de la Réunion. Pourtant, il avait décidé de la quitter et de partir pour la France afin de continuer ses études à Lyon. Son vol avait été fort désagréable et inconfortable, il fût même étonné de voir son oncle et sa famille vivre dans un appartement et non une maison. Le temps, malgré sa différence avec celui de son ancienne île, demeurait agréable malgré tout. D’ailleurs, il faisait connaissance avec un évènement qu’il connaissait pour la toute première fois : la fin de l’été et le début de l’automne.
Cependant, il arrivait dans cette nouvelle ville avec quelques ennuis : il n’avait pas tous ses vêtements, pas beaucoup d’argent, pas d’amis ou presque, pas de repères et surtout déjà des problèmes concernant son inscription. Il aurait voulu faire une licence d’anglais et de japonais en même temps, mais les vices du système firent qu’il ne pouvait faire que la première, et ce, avec une licence de Lettres Modernes. Heureusement, le jour de son inscription, il fût béni par la divine maternelle et pût éviter de faire la licence de Lettres Modernes puis en retour il pût choisir sa mineure favorite : Culture Indienne.
Il se répétait sans cesse qu’il était français, qu’il aimait la France et Lyon, nonobstant, en son cœur, l’Inde battait continuellement avec une passion jamais affaiblie. Des jours puis des semaines s’écoulèrent, puis, il compris enfin à quel point il était réellement attaché à ses proches, à quel point ils et elles pouvaient lui manquer. Sa plus grande souffrance eût lieu au début de sa troisième semaine, au milieu de l’après-midi, alors qu’il tentait de rentrer chez lui. Les transports étaient perturbés par une grève inutile et indécente, il était arrivé pour attendre un tramway qui ne vint jamais, un indien était là.
sale grève, hein ?
pardon ?
c’est une sale grève, non ?
oui.
Ainsi commença une longue discussion entre les deux indiens, l’homme avait la vingtaine, environ vingt cinq ans, il était en première année de Master Cinéma. Ils parlèrent de leurs difficultés à vivre en France. Le jeune homme quant à lui, l’informait des différences entre la France et l’île de la Réunion. L’homme écoutait le jeune homme très attentivement, il se mit même à le tutoyer, ce qui n’offensa nullement La Main de l’Inde, qui préférait qu’on le tutoie. L’homme avait de graves difficultés aussi bien financières qu’humaines, un euro valait désormais soixante dix roupies, il n’avait pas de logement. Il devait partir pour Paris le lendemain. Le récit de l’homme émut La Main de l’Inde. Cet homme avait quitté l’Inde pour continuer son projet en France. Lui commençait à peine le sien, mais de son côté, il avait le financement du CROUS et de la Région Réunion qui n’allaient pas tarder à arriver. Ils se quittèrent très amicalement, continuant leur chemin chacun de son côté. Il tenta de réconforter son ami en disant "bon séjour en France", il lui fût répondu la même chose.
Sur le chemin du retour, une amertume et une souffrance horrible martyrisaient son cœur, lui qui avait été destiné à être "La Main de l’Inde". Il ne pouvait s’enlever de la tête ce brave homme qu’il ne pouvait nullement aider. Il avait failli, il ne pouvait aider personne dans sa condition actuelle, les larmes ne parvinrent pas à couler, mais elles bouillaient et écumaient en son cœur. Qu’était censé être "La Main de l’Inde" ? L’Inde a toujours été ouverte sur le monde et n’a jamais tenté d’envahir ses voisins. Malgré ses blessures infligées, elle demeurait humble, miséricordieuse et généreuse. La mission de la Main de l’Inde, était donc de s’ouvrir à tout être humain existant sur cette terre de misère, dans ce monde immonde. Ainsi, il appliquait réellement la Déclaration des Droits de l’Homme, en donnant son amitié et son aide à quiconque existant sur cette terre, sans jamais se soucier de sa couleur, de sa religion, de sa nationalité et ainsi de suite.
Telle était la mission de la Main de l’Inde, venir en aide à quiconque en aurait besoin. Cette blessure le martyrisa jour et nuit. Sa seule amie présente dans la ville ne le contactait jamais, sa nouvelle amie quant à elle le saluait à peine. Il avait failli encore une fois, incapable de pouvoir s’attirer l’amitié de tous. Hélas, ce n’était pas la ville de Lyon qui allait l’y aider. Une très grande majorité de la population n’était ni chaleureuse ni sociable, chacun demeurait dans son coin, comme un bon communautariste, un bon idiot dirons-nous. Il lui était pourtant arrivé de rencontrer des gens merveilleux et souriants, mais hélas, trop peu en comparaison de ce qu’il avait connu sur son île. Il lui était arrivé de penser à revenir chez lui, mais il avait de projets ainsi qu’une mission à mener à bien, il ne pouvait pas fuir. Un être humain, un vrai, ne peut fuir face aux difficultés, il se doit d’assumer sa condition et ainsi affronter chaque difficulté humblement, et si possible, en souriant comme le fît Krishna quand Duryodhana osa le menacer de mort.
Au demeurant, comme chaque être humain caressant notre terre qui nous est si chère, régnait en lui, l’espoir. Quelques jours plus tard, il devait se rendre à une réunion qui concernait les étudiants ayant choisi Culture Indienne et l’Hindi dans leur cursus, à tous les niveaux et dans toutes les sections. Ne fût-il pas étonné de voir qu’il y eût très peu de gens, mais en réalité, beaucoup étaient absents, peut être n’étaient-ils pas au courant ? Notre Main de l’Inde était anxieux et inquiet, aucun des fils ou des filles de l’Inde n’était présent, il était le seul représentant asiatique. Pour le peu de présents, toutes et tous étaient occidentaux, ainsi que la noble professeur. Pourtant, ne fût-il pas rassuré quand il pût s’apercevoir que l’ambiance qui régnait était de loin très différente à celle qu’il avait connu en Cours Magistraux. Sourires, rires, plaisanteries, sociabilité, toute la base d’un véritable être humain. Il aurait voulu rester pour le premier cours d’hindi, hélas, il fût obligé de se dépêcher de partir, ne sachant pas à quelle heure il arriverait vu que les services de transport étaient en grève et donc en service très limité.
Il est indécent de voir des occidentaux possédant un salaire honorable et manger à leur faim, se plaindre et faire grève, surtout quand on sait, que de l’autre côté du monde, en Inde par exemple, des enfants et des adultes travaillent parfois pour moins de vingt euros, mangent très peu, et pourtant, rentrant chez eux fiers et humbles. La Main de l’Inde ne cessa de penser à ce paradoxe indécent, lui-même, avait honte de pouvoir manger à sa faim alors qu’il ne travaillait pas à la sueur de son front. En parlant de sueur, il rencontrait beaucoup de difficultés très personnelles dans sa nouvelle vie. Il n’avait quasiment aucun réseau social, le très peu d’amis ou pseudos amis qu’il avait à Lyon l’ignoraient ou étaient injoignables. Chez son oncle, il n’y avait pas de machine à laver, donc à part les sous-vêtements, il ne savait pas laver à la main... Oui, il l’avait toujours reconnu, chez lui, il était traité comme un Prince et il le rendait bien à ses parents, bien qu’ils fussent divorcés. Il rentrait toujours à l’heure, était respectueux, apportait toujours la joie dans chacun de ses foyers, et possédait une confiance infinie de la part de ses parents.
Ses parents... en quittant le lycée, à presque vingt ans et tant d’expériences et de philosophie, il se croyait suffisamment grand et indépendant. Par indépendance, il voulait dire qu’il ne souffrirait pas de ses attaches quelconques, et pourtant, c’était cela qui le faisait vivre. Il y avait sa jeune petite chatte, qui le réveillait et l’accompagnait souvent dans sa chambre et la maison, de doux miaulements, une fourrure si douce ainsi qu’un sourire rempli de plénitude. Son chien, toujours aussi fidèle, malicieux et rapace que son maître, il avait bientôt quatre ans et était toujours aussi joyeux et bien dressé. Sa mère si maternelle, qui avait toujours veillé à chacun de ses besoins, même le plus infimes, avant ou sans qu’il le demande. Son père, était toujours à l’attente d’un de ses appels pour le conduire où il le voudrait. Parfois, il arrivait qu’il ait la sollicitude de rester une journée avec son père. Sa chambre, petite mais si tranquille, confortable, pratique et moderne. Désormais, il avait à peine un grand lit, une table de chevet et une armoire ; il était loin de son bureau, son armoire personnelle, ses étagères, sa petite table et tous ses outils et autres.
Tous lui manquaient de plus en plus, son île, ses habitants, son climat, sa gastronomie, son ambiance, sa famille, ses amis et tant d’autres choses encore. Alors qu’il n’avait pas encore droit à son "mardi béni" comme il le disait lui-même, où il allait commencer la Mineure de Culture indienne ainsi que l’hindi, il commençait à passer des nuits de plus en plus difficile. Il s’empêchait de tout son être de pleurer, de peur que son oncle et les autres ne l’entendent. Il essayait de se réconforter en lisant Krishnamurti, cet homme qui lui faisait penser à son grand père maternel qu’il n’avait jamais connu. Il l’était peu, mais réconforté. Il serrait un bout de sa couette contre son cœur, comme il en avait l’habitude quand il était angoissé. Il était orgueilleux et refusait toujours de parler de ses angoisses à sa mère, sachant qu’elle ne réussirait pas à le consoler. Il aurait voulu avoir une grande soeur, ou une très grande amie sur qui il aurait pu se reposer, se faire réconforter afin d’apaiser sa peine. Quelle ironie ! C’était sa mission ! Il le faisait si bien, et de plus, c’était naturel pour lui, donc sincère et sans artifices. Il écoutait attentivement l’autre, se mettait à sa place admirablement et trouvait toujours les bons mots et les bonnes solutions, ceux qui le connaissaient sous son vrai jour le considéraient comme un frère, un oncle ou un père de par sa protection et sa bienveillance sans limites, quel que soit sa propre situation.
Rassurez-vous, il lui arrivait d’avoir quelques rayons de soleil, certes minuscules, mais présents. Les professeurs, de par leur bonne humeur, le jeune homme du café, très poli et accueillant, sa professeur de hindi et de culture indienne ainsi que ses élèves. Il allait bientôt faire plus ample connaissance avec elles et eux, mais il restait encore près de quatre jours avant ce jour béni. Il allait affronter un vendredi, un week-end et un lundi assez moroses. Cependant, durant le week-end, il y avait des amis de l’oncle qui venaient, ou vice-versa, c’était des gens très sympathiques avec qui La Main de l’Inde s’entendait merveilleusement bien. Mais l’année universitaire commençait et les loisirs n’étaient pas la priorité, donc il ne sortait de sa chambre que pour manger et se détendre à peine dans le salon. Bien que parfois désespéré et que le désir de rentrer chez lui rongeait son cœur, il se montrait patient, il devait encore attendre certaines choses et ne serait fixé qu’après que ces choses soient réglées, cela concernait sa bourse, ses amis, son compte en banque nouvellement ouvert, le prochain concert de musique classique de l’Université de Lyon 3 ainsi que de ses futurs cours de culture indienne et d’hindi, donc, de ses futurs autres camarades aussi.
Rabindranath Tagore disait que si le malheur était grand, l’homme était plus grand que le malheur. La Main de l’Inde était parfaitement d’accord avec cet homme, mais il se demandait "qu’en serait-il du bonheur ?" Cela était une chose très sûre, le bonheur surpassait de loin l’homme, lui qui peine à accéder à ce qu’il y a de plus aisé, si encore, il osait se séparer de la bêtise et de la société, pour une vraie vie, une vie libre. Chaque jour avait sa part de lumière et d’ombre, un doute s’était installé en lui. Il se demandait s’il il devait quitter la France dans une année, où y rester. Il avait encore tant de choses à faire, qu’il s’était décidé à laisser du temps au temps et de patienter afin de laisser les expériences arriver, les jours s’écouler car il le savait, la pluie pouvait lui rendre visite à n’importe quel moment. La solitude le rongeait de plus en plus chaque jour, il voulait plus que tout au monde voir ses "soeurs", sa petite chatte qui lui tenait compagnie si souvent à chaque journée et qu’il affectionnait tellement. Il avait très peu, trop peu de contact humain. Il savourait chaque mail, chaque message Internet comme il le pouvait. Cette nouvelle vie si étrange, si aléatoire ne lui plaisait pas mais il était bien obligé d’accepter : il ne s’appelait pas Sangoku et était très loin de pouvoir se téléporter à sa guise où il le désirait à sa guise. Il se demandait si c’était réellement un désir ou une prise de conscience.
Commençait-il à comprendre qu’il était définitivement à des milliers de kilomètres, que contrairement à ce qu’il croyait, son "chez lui" était bien dans cette maison, dans ce quartier qu’il avait détesté ? Mais inconsciemment, il avait bel et bien chéri son foyer. Il y apportait la lumière et la joie, nuit et jour. Désormais, il n’était plus que l’ombre de la lumière qu’il était. Personne n’avait besoin de lui, il ne pouvait apporter sa lumière à personne et nulle part. Pourtant, bien que ses pensées pouvaient être aussi obscures, elles suivaient le même chemin que ses jours, contrastés de lumière et d’ombre, en permanente alternance... lunatique ? Quelles étaient donc ces choses qui lui apportaient la lumière ? La musique, la lecture de Krishnamurti, les contacts humains, les repas, les mangas, l’écriture, les "passages" de ses soeurs sur Internet, ou encore de sa Critique Officielle, une amie qu’il avait toujours considérée comme fidèle, discrète, de confiance, honnête et envers qui il pouvait se tourner à n’importe quel moment, même si cela devait se limiter à un simple mail. L’homme, au bout de son humilité, sait se contenter de l’eau source de vie, plutôt que de s’envenimer les veines avec des artifices et inutilités tels que l’alcool.
Nonobstant, malgré tout ce qui a été écrit, il était toujours capable de sourire et de rire à chaque moment. Dès qu’il voyait un arbre, l’eau du fleuve, et parfois un poisson sauter et revenir à l’eau, il se sentait libéré, dommage que cela ne fusse que trop éphémère. Un soir, il se souvint de sa mère, à quel point elle était inquiète, triste et émue pour lui. Il avait été vraiment inconscient, pensait que sa mère en faisait trop, mais finalement, il se rendait compte qu’elle avait bien raison, que ses sentiments et ses craintes étaient fondés. Parfois un fils, voulant le bien de ses parents en leur montrant qu’il a grandi, finit par se rendre compte, que seul ou pas, indépendant ou pas, le plus important pour un fils, ce sont ses parents, ses proches, sa famille. Il s’était éloigné de ceux qui lui étaient chers, en tant que Main de l’Inde, c’était l’une de ses plus graves erreurs jamais commises, maintenant, il devait assumer humblement face à cette vérité qu’il reconnaissait. La Main de l’Inde s’appelait Hendy. Dès cette prise de conscience, il comprit une chose, qu’il n’était pas la Main de l’Inde, mais qu’il le devenait : "mada mada dane", il avait encore du chemin à faire.
Fin du premier Chapitre.