Il était pratiquement minuit cinquante quand elle mis le nez dehors. De toute façon l’ambiance en boîte commençait rarement avant une heure du matin et puis, le temps de s’y rendre, elle arriverait à point nommé pour exhiber sa beauté céleste. Les flocons, blancs pour la plupart, ne passaient pas vraiment inaperçus. Dans l’air ils voltigeaient joyeusement, au sol, ils formaient une couche soyeuse, opaline. Pour elle on avait déroulé le tapis ivoirin. Elle en avait bien besoin. Quelqu’un avait enfin eu un geste à son égard. Toute électrisée par cette idée, elle déneigea la petite Getz noire en deux coups de cuillère à pot. Adaptées les cuillères à pot pour débarrasser la sémillante coréenne de son blanc manteau ! La route était longue, difficile, mais l’enjeu était de taille. Trouver une entité responsable et disponible, un être doté de deux oreilles, prêt à patiemment écouter une jolie fille débiter délibérément ses déboires désorientés, déconcertés. Déboussolée.
Retrouvera-t-elle un jour le nord ? Elle en était pleinement persuadée, c’était juste une question de temps.
Et pour l’instant le temps jouait contre elle. Au départ, les flocons simples taches blanches dans le ciel gris, s’étaient clonés.
Maintenant, des millions de cristaux immaculés zébraient l’air dans tous les sens.
Encore quelques kilomètres, elle serait sauvée. Dénicher cette âme salvatrice serait chose aisée, une affaire de femme. Par le passé n’avait-elle pas été aguicheuse, allumeuse, ensorceleuse, charmeuse ? Et de combien d’autres attributs du même acabit, à l’époque, ne l’avait-on affublée. Il fallait juste se remémorer la gestuelle ... revenir dix ans en arrière ... quand elle était plus jeune, plus affamée, plus avide de toutes ces choses de la vie. Elle arriva enfin sur le parking de la discothèque. L’enseigne de néons bleus sur laquelle on pouvait lire « Enjoy » enluminait l’endroit d’une façon étrange. Elle frissonna sous son long manteau. Il est vrai que la température extérieure avoisinait le zéro degré fatal mais cela n’avait pourtant aucune incidence sur les picotements désagréables qui lui parcouraient l’échine. Ses pas crissaient sous la neige.
Elle pénétra l’antre musical. Des flots de sons hululés, mélangés à des bruits sourds répétés, parvenaient à ses tympans. Le genre musical de la maison n’était pas vraiment à son goût. Trop fort, trop déjanté, trop jeune !
Sur l’enseigne il était pourtant écrit « enjoy » ... le propriétaire de l’établissement devait avoir un sacré sens de l’humour, très contradictoire voire controversé. Certains devaient probablement apprécier ce genre de tintamarre, pas elle. Pour la deuxième fois, d’un geste nonchalant de la main, elle chassa l’insecte invisible.
Au bar un tabouret vide, elle alla s’asseoir.
(à suivre) - 2