Elle regrettait déjà. La phrase énoncée, trop vite, instinctive, ne correspondait en rien à son état d’âme actuel. Elle aurait aimé être à un autre endroit. Un lieu plus circonstancié, plus approprié à de tels préliminaires. A la rigueur, même un siège arrière de voiture eut été plus adapté.
Là au moins il n’y aurait pas eu tous ces yeux. Tous ces regards vicieux qui scrutent l’ombre, à l’affût du moindre détail susceptible de susciter une montée d’adrénaline, une réflexion idiote ou une pensée salace. Et puis elle n’avait pas l’intention de se donner en spectacle. Ce n’était pas son genre, surtout en public. Ils pourraient de surcroît s’inventer une fille facile, qui, d’un simple claquement de doigts, se mettrait à genoux et satisferait leurs vils désirs.
Elle connaissait bien ce genre de quidams ... ceux qui hantent sans ambiguïté tout lieu de débauche à la recherche d’une proie à se mettre sous la dent, d’une femme « à tirer », d’un orifice à combler.
Elle les haïssait tous ceux-là, ceux qui avaient meurtri son intimité, ceux qui l’avaient jetée dans la fosse aux pervers, assimilée à la bête. Sa riposte serait inexorable
Fragilisée, c’est certain elle l’était, mais pas complètement irréfléchie. Elle se donnerait à lui, corps et âme, en temps voulu, quand elle l’aurait décidé.
Il fallait juste que les stigmates s’estompent ... laisser le temps au temps.
A contrecœur il retira sa main. Avec une lenteur calculée, profitant jusqu’au bout de ces ultimes instants de volupté, ôtant à la chair attiédie ses derniers spasmes de plaisir, il paracheva son geste.
Il était confus. En cause, non pas par la dernière phrase d’Eléonore mais bien la réaction fusionnelle de son corps propre aux différents stimuli. Jamais il n’avait rien ressenti de tel. Aussi fort, aussi rapide, aussi intense. L’avenir s’annonçait prometteur pour autant que l’histoire se poursuive comme elle avait débutée. Il la connaissait depuis une heure à peine et déjà il échafaudait moult plans érotico fantasmagoriques. Tous ses fantasmes inassouvis ne passaient plus que par une seule et même personne, Eléonore. L’oiseau bleu, il l’avait enfin découvert. Néanmoins il devait faire très attention ... une femme aussi belle devait certainement être très courtisée, avoir un tas d’amants. Résultat : des tas d’ennuis l’attendaient au tournant ... il la voulait pour lui tout seul, devenir son seul et unique sigisbée, son prince, son amant, son monde, sa terre, son air et son eau.
Une envie viscérale, incontrôlable s’était insidieusement installée en lui. Il ferait ce qu’il faut pour arriver à ses fins, quitte à transgresser le sixième précepte de Moïse.
- « Si tu veux, on pourrait finir la soirée ailleurs, dans un endroit plus calme, à l’abri des curieux ... je ne suis pas très à l’aise dans ce milieu ... j’ai l’impression d’être déshabillée à chaque instant, offerte aux regards de tous ces gens comme une bête de foire qu’on exhibe au peuple médusé. Ma parole ils n’ont jamais rien vu ces provinciaux ... «
- « Je suis entièrement d’accord ... j’allais te le proposer. C’est vrai qu’ici ce n’est pas trop ma tasse de thé non plus. Tu as une idée de l’endroit ? »
- « Je connais un petit bar à cocktails sympa à Arlon, à quelques kilomètres... musique agréable, lumières tamisées, fauteuils en osier, tenu par deux homosexuels, tu vois le style ... si ça te dit ? »
- « Oui, j’y suis déjà allé. C’est le Coconuts. Mais cela fait belle lurette que les deux homos n’y sont plus, je crois même qu’ils ne vivent plus ensemble, ils ont remis la gérance de l’établissement à un ou une de leurs employés... c’est moins bien qu’avant mais on peut y faire un saut, à cette heure-ci devrait pas trop y avoir de monde »
En trois ans pas mal de choses avaient changées apparemment. J’ai l’air de débarquer de la lune avec mon histoire d’homosexuels... je ferais mieux de m’abstenir et de réfléchir un peu au lieu d’étaler platement mes souvenirs... c’est vrai qu’en trois ans de l’eau a dû couler sous les ponts...
- « Mais si tu n’aimes pas, faut pas te sentir obligé... doit bien y avoir d’autres solutions acceptables.
On pourrait traverser la frontière et pousser une pointe jusqu’à Luxembourg, ce n’est pas si loin. Il y a de la neige d’accord mais les routes principales sont bien dégagées.
Et à Luxembourg je suis déjà ... »
- « Tu es déjà ...
Elle s’était mordu la langue. Il s’en était fallu de peu qu’à nouveau elle réitère sa précédente erreur.
- « Non, rien... excuse-moi, je me suis trompée. J’avais le souvenir d’un café comparable mais tout compte fait ce n’est pas à Luxembourg ...
(à suivre) - 6