Isabelle, un peu interloquée n’avait pas répondu et avec stupeur avait vérifié les propos de la petite. C’était exact, dans la ligne dominante de la famille, toutes les cinq générations étaient nées et décédées deux femmes à un siècle d’écart.
Elle ne s’était jamais arrêtée sur ce détail malgré toutes les heures employées à l’étude de ces papiers. Elle pensa à une erreur de recopie et s’afféra à retrouver les extraits de naissance et de décès de chacune d’entre elles, les examina scrupuleusement et ne put que constater qu’aucune méprise n’avait été faite.
Soudain, un doute la tenailla, elle s’était toujours amusée du fait que son écriture et celle d’Amélie aient été si proches : même façon de former les majuscules, mêmes arrondis, mêmes anomalies sur la lettre « r ». Elle observa plus attentivement l’écriture précédant celle de son aïeule, celle-ci était tellement identique qu’elle avait toujours pensé qu’une seule et même personne avait été l’initiatrice et la conceptrice de l’arbre. Mais aujourd’hui, elle y voyait d’infimes différences, toutes les cinq générations, elle en était convaincue, une des femmes avaient repris la tâche abandonnée à la mort de la précédente. Cette idée la fit frissonner et c’est avec angoisse qu’elle lut l’année de décès d’Amélie : 1908.
Il me reste un an à vivre, pensa-t’elle à voix haute.
Qu’est ce que tu dis maman ?
Sophie venait d’entrer dans le bureau et avait entendu la remarque de sa mère. Elle s’affola lui demandant si elle était malade pensant qu’elle lui cachait quelque chose. Mais Isabelle lui sourit et la rassura lui faisant part de la découverte qu’elle venait de faire après la constatation de Julie. Sophie, soulagée haussa les épaules puis se moquant gentiment plaisanta en disant qu’après la malédiction de la momie, voilà que se profilait la « malédiction de la généalogie ».
Isabelle rit aussi mais surtout pour se rassurer car au fond d’elle même quelque chose l’inquiétait, tant de similitudes ne pouvaient être une coïncidence. Lorsque Sophie quitta le bureau, Isabelle prit le téléphone et appela Jean-Paul, son voisin et ami, éminent graphologue et lui demanda de la rejoindre le plus vite possible. Celui-ci, un peu inquiet par le timbre de sa voix était venu en toute hâte.
Elle lui demanda d’étudier l’arbre généalogique et d’évaluer combien d’écritures différentes il y avait. Après une heure de travail, il confirma les doutes qu’elle avait eu. Tous les cent ans, la plume avait changé de main avec quand même des analogies entre les diverses calligraphies plus troublantes les unes que les autres.
Isabelle lui raconta ce qui la perturbait, elle savait pouvoir compter sur lui et sur son esprit cartésien pour apaiser ses inquiétudes mais la gravité du visage de son ami tout au long de son récit l’alarma encore davantage. Elle décidai de se mettre dés à présent en quête d’informations sur les circonstances de la mort de cette longue lignée de femmes dont elle faisait aujourd’hui partie.
Tout d’abord elle rendit visite à sa mère et lui parla d’Amélie, tentant d’en apprendre davantage sur la cause de son décès. Mais celle-ci ne savait pas grand chose, elle se rappelait seulement que sa propre mère Clara, un jour en se disputant avec sa grand-mère lui avait dit qu’elle était responsable de la mort d’Amélie.
Mais ses souvenirs étaient confus : Amélie alors veuve vivait, comme cela se faisait à l’époque, chez sa fille. Le caractère explosif des deux femmes provoquaient bien des heurts et c’est à la suite d’une nouvelle dispute qu’Amélie avait décidé de se rendre à la source de la rivière, un humble ru où poussait du cresson et qu’elle s’y serait noyée. Elle disait que sa mère lui avait raconté que la famille avait du grassement payer le curé pour qu’il l’enterre et autorise la cérémonie car tout le monde disait qu’Amélie n’était pas morte accidentellement mais qu’elle s’était suicidée. Simples rumeurs de villages ou faits avérés, elle était incapable de le dire et n’en savait pas plus.