Le majordome, s’était levé, un peu gêné de s’être ainsi laissé surprendre par la fatigue, elle le renvoya froidement puis s’adressa à moi d’une voix douceâtre :
Mon enfant, vous n’êtes pas raisonnable, le médecin vous a pourtant mise en garde. Vous devez garder le lit, votre état ne vous permet pas de faire le moindre effort, la mort de votre mère vous a profondément ébranlée. Depuis, l’incident, vous devez suivre votre traitement et vous reposer. Vous nous donnez bien du soucis et ce pauvre Adrien ne sait plus comment vous raisonner. Il vous veille chaque nuit et éponge votre front lorsque les cauchemars agitent vos nuits. Il se sent si responsable le malheureux homme depuis...
Je lui coupai la parole, lui contant ce qui m’était arrivé, les circonstances qui m’avaient amenée là et ce retour dans le passé que je ne pouvais expliquer et qui me terrorisait.
Elle m’écouta patiemment sans montrer le moindre signe de surprise, puis lorsque j’eus terminé, elle me sourit et se leva.
Elle ouvrit le tiroir d’une commode et en sortit un coffret en bois de rose dans lequel se trouvaient des photos sur lesquelles j’apparaissais. C’était moi sans être moi, impression singulière d’être étrangère à ma propre image.
Certaines me montraient enfant entourées d’un homme et d’une femme qui devaient être mes parents, d’autres sur lesquelles je jouais au cerceau accompagnée d’un chien. Elle aussi avait été photographiée à mes côtés, plus jeune, plus souriante et la maison devant laquelle je posais était bien celle du vieux monsieur qui m’en avait donné les clés, dans toute sa splendeur passée. Je voyais les lierres et les vignes vierges qui couraient sur la façade, les rosiers, les parterres de fleurs.
Elle dénoua un ruban entourant un paquet de lettres bleues qu’elle me mit entre les mains, toutes m’étaient adressées, j’en savais les mots, les caractères calligraphiés, en les parcourant, je me souvenais les avoir lues à un autre moment dans d’autres lieux.
Puis elle me tendit un petit cahier, un journal intime, c’était bien mon écriture. Je le serrai contre ma poitrine et m’effondrai sur le lit en larmes.
Tout mon monde s’écroulait, qu’en était-il de ma vie, qui étais-je ? Etais-je cette jeune femme du siècle dernier ou celle que je croyais être, bien ancrée dans la modernité ? Etait-ce un rêve ou la réalité ? Je me sentais submergée par le doute, la seule chose qui me liait encore au monde auquel je croyais appartenir c’était cette maudite boîte bleue qui ne m’avait pour le moment apporté que du malheur.
« Prenez garde à vous » m’avait-il dit... comment aurais-je pu imaginer ? Des milliers de questions se bousculaient dans ma tête, je perdais pied et je me sentais en train de sombrer dans la folie.
En moi montait une vague destructrice, l’envie de hurler, de tout briser mais elle dut percevoir cette lueur qui parcourut mon regard, posa sa main sur mon épaule et m’embrassa le front.
Il faut vous reposer maintenant, la nuit est déjà bien avancée, prenez donc un peu d’eau, cela vous calmera et essayez de dormir. Demain sera un autre jour.
Elle me tendit un verre dont je bus quelques gorgées qui aussitôt m’apaisèrent. Je sus que si je voulais comprendre il me faudrait jouer le jeu jusqu’au bout. Ainsi, je m’allongeai sur le lit, gardant bien précieusement le journal intime contre moi.
Elle sortit de la chambre et je n’entendis plus que le bruit de la clé qui verrouilla la serrure.