Cloîtrée dans cette chambre dont j’avais déjà exploré chaque recoin, du cabinet de toilette aux armoires emplies de vêtements et de chapeaux, je commençai à trouver le temps long. Tous ces objets me paraissaient aussi familiers qu’étrangers, c’était une impression curieuse qui me mettait très mal à l’aise. Alors, par envie ou par jeu, je ne saurais dire, je décidai de m’habiller. Après maintes hésitations je choisis une robe de lin jaune pâle ajustée à la taille par un large ruban de satin.
Puis, j’entrepris la descente du grand escalier d’acajou qui conduisait au rez de chaussée. Je résistai aux vertiges m’agrippant à la rampe, les marches vacillaient et semblaient s’éloigner dés que mes pieds s’approchaient d’elles mais déterminée je parvins à atteindre le vestibule de marbre blanc. Lorsque j’entrai dans le salon où se trouvait ma tante, elle sursauta et sur son visage d’habitude impassible, je pus lire un mélange d’anxiété et d’embarras. Elle se leva rapidement et sonna Adrien puis me prenant par le bras, elle me guida jusqu’à un fauteuil de velours bleu nuit où elle me fit asseoir.
Auriez-vous perdu tout sens commun, s’exclama t’elle. Vous auriez pu tomber et vous rompre les os. Et vous êtes pieds nus de surcroît ! Croyez-vous vraiment qu’une fluxion de poitrine arrangerait votre état ?
En pénétrant dans la pièce, Adrien blêmit.
Mais ne restez pas là à ne rien faire, allez donc lui chercher des chaussures et un châle, ordonna Hortense d’un ton sans réplique. Elle est morte de froid, ne voyez-vous pas sa pâleur ?
Le miroir qui me faisait face me renvoyait une image effrayante, mon teint était livide, le teint d’une morte. De larges cernes sombres autour de mes yeux accentuaient davantage la blancheur de mes lèvres.
Quelques minutes plus tard, Adrien revint et tandis qu’il prenait soin de moi, je vis ma tante se diriger vers le bureau où se trouvait le secrétaire. Elle en revint un verre à la main, elle s’approcha d’une table près de la fenêtre, s’empara d’une carafe de cristal et le remplit d’eau. Puis, elle me le tendit. Je refusai catégoriquement et contrairement à ce que je pensais, elle n’insista pas. Par contre, je surpris le regard angoissé qu’elle échangea avec Adrien.
Je déclinai aussi le déjeuner qu’elle voulut partager à mes côtés, je craignais l’ajout par ses soins d’une substance quelconque qui me ferait à nouveau perdre connaissance.
L’après-midi s’étira dans l’ennui, il m’était impossible d’être seule, elle me suivait partout et m’observait du coin de l’œil, épiant chacun de mes gestes.
Plus la nuit se rapprochait et plus je me sentais dans un état étrange, une sorte d’agitation et de fièvre que je tentais de cacher du mieux que je pouvais. Il devait être huit heures lorsque je pris la décision de rejoindre ma chambre, ne pouvant plus contenir le tremblement de mes mains ni les gestes qui auraient pu trahir l’excitation qui s’était emparée de moi. Hortense m’accompagna, elle semblait rassurée.
Lorsque je fus étendue Adrien frappa à la porte, portant sur un petit plateau d’argent un verre d’eau. Je n’en bus qu’une gorgée et je m’endormis très vite plongée dans un sommeil profond et dénué de rêve.
Lorsque je m’éveillai, le fidèle gardien de mon repos somnolait dans le fauteuil placé près de mon lit. Je me levai sans bruit, les vertiges s’étant dissipés j’ouvris la porte doucement afin que celle-ci ne grince pas et je descendis. Je n’avais pas conscience de mes gestes, spectatrice de ma propre vie je ne marchais pas, je flottais. Sans savoir comment, je parvins jusqu’à la cuisine, j’y étais allée d’instinct comme si je connaissais cette maison depuis toujours. Quelques instants plus tard, je remontai l’escalier, mue par une force que je n’aurais pu soupçonner quelques heures auparavant, tant mon état fébrile me rendait chancelante et hésitante dans mes gestes et dans mes pas. Je n’étais plus la même, c’était quelque chose que je ne savais définir mais que je percevais plus fort que tout. J’étais comme habitée par une vigueur et un énergie qui me dominaient.
Une fois sur le palier, j’ouvris une porte, c’était celle de la chambre de ma tante. Elle s’était endormie laissant une bougie allumée qui se consumait doucement sur une petite table, près d’un cahier ouvert. Je m’en approchai prenant garde d’être la plus silencieuse possible. C’était son journal, celui dans lequel elle devait rendre compte de ses journées monotones et fastidieuses. Je m’en saisis et le glissai dans ma poche, puis à pas feutrés, je m’approchai du lit où elle se reposait.
Soudain, elle s’éveilla et terrorisée se mit à pousser des hurlements affolés.
Je sentis alors un bras ferme et vigoureux me ceinturer m’obligeant à reculer pendant qu’une autre main m’enserra le poignet jusqu’à ce que je lâche un objet qui tomba dans un bruit sourd sur le plancher vernis.