Je tentai en vain de me débattre mais celui qui me tenait était bien plus fort que moi et il me fut impossible de me dégager de son étreinte. Instinctivement, je regardai sur le sol tentant d’apercevoir l’objet qui m’avait échappé lorsque soudain je vis à mes pieds la lame effilée d’un couteau de cuisine brillant dans un éclair glacé. Cette vision me figea, j’en oubliai de lutter et avant même que je puisse comprendre, je sentis un léger picotement en haut de l’épaule puis... plus rien.
Venant de très loin, j’entendis confusément des voix, parmi lesquelles je perçus celles de ma tante et d’Adrien mais la troisième m’était inconnue. Je regardai autour de moi, tout était très flou et nébuleux, mes membres étaient endoloris et ma tête me faisait atrocement souffrir. Je voulus me relever mais j’étais entravée au niveau des genoux et de la taille par de larges sangles de cuir. J’étais affolée mais peu à peu, mon regard s’éclaircit et je constatai que j’étais dans ma chambre.
Par la porte entrebâillée, j’aperçus la silhouette d’Hortense, elle me tournait le dos. Elle discutait avec un homme qui me parut très vieux, il portait de petites lunettes rondes et parlait d’un ton grave et dur. Son regard croisa le mien, il fit un bref signe de la main à ma tante puis il poussa la porte et s’assit sur mon lit.
Alors Adèle, il semblerait que vous refusiez de prendre vos médicaments ? Vous savez pourtant qu’ils vous sont indispensables.
J’aurais voulu lui parler, lui raconter toute ce qui m’arrivait mais je n’étais plus certaine d’être qui je croyais être, ni de ce que j’avais fait. Et puis de toute façon, je me sentais si faible, si incapable de le convaincre que je n’étais pas Adèle, que je n’avais pas pris ce couteau dans la cuisine et surtout que je n’avais jamais tenté d’assassiner Hortense, que je préférai me taire.
Il sortit d’une sacoche de cuir noir, un stéthoscope plutôt rudimentaire et commença à m’ausculter, puis il me prit le pouls en regardant l’heure sur une montre à gousset qu’il ôta de la poche de son gilet. Il garda le silence quelques instants puis posa sa main sur mon front. Je sentais mes tempes battre, il dut percevoir ma réaction et fronça les sourcils.
Il rejoignit ma tante dans le couloir :
La crise a été sévère, êtes-vous toujours aussi certaine de vouloir la garder à vos côtés ? Je ne vous cache pas mon inquiétude, s’il survenait encore un accident, il me serait impossible de continuer de taire son état.
Je ne peux faillir à ma promesse, Docteur. Je ne puis trahir la mémoire de mon pauvre frère.
Comme vous voulez Mademoiselle ! Pour le moment veillez à ce qu’elle prenne scrupuleusement ses gouttes. Ne les surdosez surtout jamais, même si elle est très agitée ! Si vous vous rendez-compte que vous ne pouvez les lui faire avaler, prévenez-moi, j’enverrai l’infirmière chaque jour afin que celle-ci lui administre son traitement par piqûres. Quoi qu’il en soit, je passerai demain pour l’examiner, mais pour cette nuit, il serait bon que vous la gardiez attachée...
Mais Docteur... l’interrompit-elle.
Je sais, Mademoiselle, que c’est contre vos principes mais ce ne serait pas raisonnable, elle est encore trop nerveuse.
Bien, si cela vous semble nécessaire. Merci Docteur d’être venu si vite.
Bonsoir Mademoiselle. A demain !
Il partit, j’entendis ses pas dans l’escalier. Hortense se retourna et me dévisagea un instant. Elle soupira puis s’approcha de moi, son regard était sombre, je m’attendais à une litanie de reproches mais elle n’en fit rien. Elle m’embrassa sur le front et sortit sans dire un seul mot.
Quelques instants plus tard, Adrien entra, redressa mes oreillers, me couvrit d’un édredon et commença à éteindre les unes après les autres les bougies qui éclairaient la pièce. Lorsqu’il s’avança vers la table de chevet près de moi, je vis que ses mains étaient couvertes de griffures. C’était donc lui qui m’avait empêché de commettre l’irréparable. Il tourna les yeux vers moi, me sourit doucement. A cet instant je sus que jamais je n’oublierais ce sourire, il exprimait tant de tendresse que j’en fus bouleversée et qu’une vague de désespoir m’envahit. Quelques larmes roulèrent sur mes joues, alors avec beaucoup de tendresse, il les essuya puis il me dit :
Ne pleurez pas ! Demain vous vous sentirez mieux, je vous le promets ! Je sais que vous redoutez le noir complet, ne vous inquiétez pas, je laisserai un chandelier allumé sur la coiffeuse, mais promettez-moi de dormir un peu.
Je voulus lui répondre mais il posa un doigt sur mes lèvres, alors je me tus et fermai les yeux.