Il vous offrait plus facilement un Pater qu’un Ricard et, sans se faire prier, vous en débitait une bonne douzaine pour rassasier votre piété. Vous pouviez dès lors continuer confiants et, si la soif vous tenaillait, vous laissez tenter par un petit verre d’eau bénite agrémentée d’un sucre candi.
Du café du Port à celui de la Marine, nos pas souvent tanguaient et juste au milieu, comme une bouée de sauvetage, c’est là qu’officiait le prêcheur, paumes tendues vers nous comme pour quémander la charité, croyait-on. Plus d’une fois je me suis arrimé à ses yeux lorsqu’il nous priait ainsi d’entrer souffler un peu. Il se disait diacre, j’étais pas vraiment saoul, il m’appelait " son fils " mais ma mère ne voyait pas qui il était. Il nous accordait son pardon sans qu’on ait l’impression pourtant d’avoir fait quelque chose de mal mais ça on pouvait jamais en être sûr en mer.
- Allez en paix, Il guidera vos pas ! disait-il toujours en guise de salut et nous repartions bien droits et un peu inquiets de savoir qui "il" pouvait bien être, surtout qu’on en parlait jamais à la télé mais qu’en tout cas "il" nous dégrisait rudement bien.
Au Port la patronne disait qu’elle l’avait toujours connu comme ça, que le prêcheur était instruit mais que depuis le départ de sa femme ça lui avait un peu déréglé le cerveau et qu’il était copain (à ce qu’on disait) avec tous les bons dieux et peut-être bien aussi les mauvais et là elle se signait aussitôt et allait au frigo chercher de la bière en marmonnant qu’on ferait bien de se méfier quand même y’avait qu’à lire le journal pour voir tout ce qui pouvait arriver de nos jours et que de son temps...
A la Marine le patron pensait que c’était une secte et que c’était pas parce qu’il était tout seul qu’il était moins dangereux et qu’on ferait bien de s’y reprendre à deux fois avant d’avaler sa cochonnerie de flotte qui allait nous rendre plus cons qu’on était déjà et qu’on avait rien à aller faire de l’autre côté du village chez l’autre salope qui tenait le bistrot du Port et que de porc, elle c’était une foutue garce que l’autre cinglé devait sauter car la nuit on entendait de drôles de trucs que nous on pouvait même pas imaginer mais que lui il voyait aussi sûrement qu’il était debout derrière son comptoir car c’était la nuit qu’il sortait faire pisser son chien et que la pauvre bête ne voulait même plus rien faire tellement ça l’effrayait. Et là, à chaque fois, il payait sa tournée vu que ça l’énervait drôlement et nous on était bien content, mon frère et moi.
D’ailleurs Paulo c’était pas mon frère mais dans le village on avait décidé d’être tous frères et sœurs pour faire plaisir au prêcheur et puis, comme on était sûr de rien une fois mort, mieux valait rester en famille pour éviter d’être séparés. Le paradis c’était quand même pas une mince affaire !