Lorsqu’elle rentra, elle trouva Marc au salon, absorbé par la lecture du journal, il ne leva même pas les yeux et ne répondit pas à son bonsoir. Visiblement, il n’avait pas encore « digéré » la dispute avec son fils. Elle pensa qu’il valait mieux attendre le lendemain pour lui parler de sa rencontre avec Gilles et de l’invitation qu’elle avait lancé pour pouvoir prolonger ce moment magique passé en sa compagnie. Elle s’affaira dans la cuisine et se surprit à chantonner, gaie comme un pinson malgré la lourdeur de l’atmosphère qui régnait dans la maison.
Elle ne dormit presque pas de la nuit, obnubilée par le souvenir de ces deux trop courtes heures passées avec lui. Elle se remémorait chaque mot, chaque geste, chaque sourire, chaque regard. Elle sentait sa présence à ses côtés et se sentait envahie par des sensations qui la troublaient étrangement.
Au matin, quand elle se leva, Marc était déjà descendu et s’apprêtait à partir rendre visite à ses patients. Elle l’embrassa et ils échangèrent quelques banalités puis retenant son souffle, elle lança d’un ton faussement désinvolte :
Tu te souviens de Gilles Desmarets, un de mes amis de fac ?
Gilles Desmarets ? Non. Pourquoi ?
Eh bien, figure-toi, qu’il vient d’emménager dans le coin, je l’ai rencontré hier à la bibliothèque, nous avons discuté un peu ensemble et je l’ai invité à dîner ce soir à la maison.
Et alors ?
Ben alors, rien, je voulais te le dire !
Tu fais comme tu veux, de toute façon dans cette maison, pour ce que l’on a à faire de mon avis... Bon je vais travailler ! A ce soir !
En temps normal, cette dernière remarque l’aurait piquée au vif mais aujourd’hui rien ne semblait pouvoir la toucher. Elle était heureuse à la seule pensée que dans quelques heures, Gilles serait là chez elle, qu’elle partagerait avec lui un peu de son univers.
Elle passa la journée entière à préparer la soirée, rien n’était laissé au hasard, tout devait être parfait. Entre les courses, le fleuriste, la cuisine elle ne vit pas le temps passer.
L’horloge de la salle à manger sonna 18h, elle jeta un regard circulaire dans la pièce afin de vérifier qu’elle n’avait rien oublié. Sur la nappe de dentelle blanche, elle avait dressé pour l’occasion le superbe service en porcelaine qui lui venait de sa grand-mère, la ménagère en argent et les verres de cristal. Au centre de la table, un imposant bouquet de roses pourpres, assortis aux vaporeux rideaux d’organdi donnait une tonalité chaude et intime, renforcée par les reflets des bûches qui brûlaient dans la cheminée. Parfait, tout était parfait !
Elle monta dans sa chambre, passa en revue son armoire, puis après de nombreuses hésitations opta pour une robe grenat, toute simple mais dont la couleur mettait en valeur son teint pâle et ses yeux sombres. Puis, elle se fit couler un bain et s’y laissa glisser voluptueusement, un sourire sur les lèvres et l’âme toute emplie de joie à l’idée de la tendre perspective qui se dessinait.
C’est le bruit des pneus dans l’allée qui la fit sortir de sa torpeur. En toute hâte, elle s’enroula dans une serviette et regarda par la fenêtre. Elle reconnut soulagée la voiture de Marc mais il fallait maintenant qu’elle se dépêche, Gilles n’allait plus tarder. Du haut de l’escalier elle interpella son mari et lui dit qu’elle allait descendre dans quelques minutes. Comme d’habitude, il ne lui répondit pas et elle entendit la porte de son bureau se refermer. Elle s’habilla, mit quelques bijoux, se maquilla légèrement, se parfuma. Le reflet que lui renvoya le miroir la comblait, elle était aux anges.
Lorsqu’elle le rejoignit, Marc lisait le journal, un verre à la main.