Elle du s’y reprendre à plusieurs fois pour sortir du parking.
La voiture avait une fâcheuse tendance à patiner sur la neige. Après plusieurs dérapages incontrôlés elle parvint enfin à rejoindre la nationale. D’habitude elle maîtrisait parfaitement ce genre de situation mais là elle devait être trop nerveuse, trop empressée. Elle avait rencontré un homme intéressant, une bonne chose assurément.
C’était ce qui pouvait lui arriver de mieux en ce moment ... et qui plus est elle était indubitablement et doublement bénie des dieux ... assise dans sa voiture, juste à ses côtés, à portée de main... elle avait retrouvé sa sœur.
Sans vraies nouvelles depuis pratiquement trois ans, elle lui devait bien son lot d’explications ... pourquoi par exemple n’avait-elle donné aucun signe de vie, pas un coup de fil, pas un e-mail , même pas un tout petit SMS. Juste une carte postale, voilà deux ans, en provenance de Madagascar, avec les mots : « Je suis vivante, je t’embrasse, à bientôt » Pourquoi s’était-elle enfuie sans laisser d’adresse ? Un beau matin, alors qu’elle était sous la douche, la police locale était venue sonner à sa porte lui demandant si elle possédait le double des clefs de la résidence de sa sœur. Un voisin se serait plaint de l’odeur fétide qui émanait du sous-sol. Pourquoi avait-on délogé sa voiture hors de la vase au fin fond de la Meuse à Liège ? Pourquoi son précédent employeur avait-il intenté un procès en diffamation ? Tant de questions sans réponse, tant de points d’interrogation sur cette fichue ligne du temps ! Rester dans l’expectative ne résoudrait rien. Il fallait avec elle, prendre les devants, la harceler même, la pousser dans ses derniers retranchements pour qu’elle relate enfin toute sa misérable histoire. Réécrire la biographie de ses trois dernières années, combler le vide temporel de ce trou noir, voilà de quoi il retournait précisément.
Bien que la route fut suffisamment dégagée, il n’était pas aisé de conduire par un temps pareil. Il fallait sans cesse faire attention aux plaques de verglas, éviter de freiner brusquement, rétrograder subtilement quand cela s’avérait nécessaire, accélérer finement dans le cas contraire, un tas de choses en somme pour lesquelles elle n’avait aucune formation, aucune pratique. Il n’y avait que quelques kilomètres à parcourir et pourtant le trajet lui semblait interminable, incroyablement long et laborieux. C’est encore loin, lui demanda-t-elle accompagnant sa question d’un soupir empli de lassitude. Pas de réponse. Elle se tourna vers Julia, lui lança un rapide coup d’œil pour finalement constater, éberluée, qu’elle s’était assoupie. C’était vraiment un comble ! D’un geste rageur elle monta d’un coup sec le volume de l’autoradio provoquant le réveil en sursaut de la belle ensommeillée.
- Julia, tu pourrais faire un effort, non ? C’est encore loin ? Je ne connais pas ton adresse et la seule chose que tu trouves à faire c’est de t’endormir, tu y vas un peu fort tout de même !
- Excuse-moi ! Je dois être fatiguée. Toute cette tension ces derniers
temps m’a littéralement vidée. Et la joie de t’avoir retrouvée m’a
tellement apaisé que mon corps a chaviré dans les abîmes d’un bref
sommeil réparateur.
- Toujours aussi verbeuse je vois !
- J’ai changé sur pas mal de points mais tu sais bien qu’en chassant le naturel, il revient toujours au galop ... Là tu tournes à droite, tu passes la maison communale et c’est un peu plus loin, un bâtiment qui fait l’angle ... au premier étage.
- C’est un peu perdu, non ! Et pas très féerique !
- Tu sais les anciennes cités ouvrières sont toutes un peu semblables.
L’unique avantage c’est le loyer modéré. Mais quand tu auras vu
l’intérieur tu m’en diras des nouvelles.
- Connaissant tes goûts en matière de décoration j’en doute ...
(à suivre) - 10