Le poids excessif de la nouvelle finit par achever Julia. Recroquevillée sur elle-même comme une enfant qu’on aurait battue, elle pleurait à chaudes larmes. Même blottie dans les bras de sa sœur elle n’arrivait pas à réfréner ses convulsions. Ni le réconfort d’Eléonore, ni la quantité effarante de mouchoirs en papier ne parvenaient, un tant soit peu, à assécher son visage blême. D’un coup elle avait pris dix ans.
Greg, pour le moins embarrassé, ne sachant pas très bien à quel saint se vouer, se dirigea vers le petit bar, attrapa un verre à whisky et y versa une triple dose. Il tendit le verre à Julia et la força gentiment à en boire une bonne lampée. Ce qu’elle fit sans trop se faire prier, entre deux hoquets. L’alcool allait lui donner momentanément un petit coup de fouet, juste assez pour qu’elle parvienne enfin à recouvrer un semblant de figure humaine.
Voyant qu’elle reprenait tout doucement le dessus, Eléonore en profita pour l’emmener se rafraîchir à la salle de bains. A peine l’enfant prodigue retrouvé, il fallait comme par le passé, s’en occuper. Lui consacrer tout son temps, toute son attention. Déjà en premier lieu, essayer de comprendre ce qui s’est concrètement passé. Puis si possible la sortir du bourbier dans lequel elle s’était fourrée. Et enfin, la raisonner comme d’habitude pour qu’à l’avenir pareille situation ne se reproduise plus. Son absence prolongée n’avait apparemment pas contribué à la rendre plus mature. Elle ne s’était guère corrigée pendant ces trois ans, que du contraire. Les ennuis recommençaient.
Arrivées dans la salle de bains, Eléonore lui proposa de changer de chemisier, le col de celui qu’elle portait était souillé de maquillage. Elle supportait mal voir sa sœur dans pareil désarroi. Il lui semblait évident qu’en changeant de vêtement elle retrouverait plus facilement une once de dignité. C’est moins sordide quand on est propret, bien habillé. Julia ne se le fit pas dire deux fois. Nerveusement elle déboutonna son chemisier, failli arracher le dernier bouton et, d’un geste avachi le laissa tomber sur le rebord du bac de douche. Eléonore le ramassa et le jeta dans le panier à linge à proximité. Comme elle en était à se déshabiller, elle ôta aussi son soutien gorge, qu’elle laissa choir à ses pieds. Eléonore le ramassa.
C’est en se relevant, alors qu’elle évaluait la poitrine de sa sœur, qu’elle remarqua deux petites taches sombres sous le galbe de ses seins. Jamais auparavant elle n’avait aperçu ces marques. Pourtant ce n’est pas faute de l’avoir vu nue. Quand elles vivaient encore sous le même toit elles s’étaient toujours tout montré, tout raconté ! Le moindre petit bobo était sujet à discussion, la moindre égratignure était analysée et commentée. Tant au point de vue le leur physique respectif qu’au point de vue de leurs valeurs morales ou sentimentales. Elles étaient si différentes et pourtant si semblables. Et là, à priori, ces deux marques brunâtres semblaient être toutes récentes. Allait-elle lui poser la question sur la provenance de ces stigmates ou bien attendre qu’elle fournisse elle-même une explication sensée quant à l’origine de ces horribles cicatrices. Indécise, elle décida de reporter son enquête à plus tard. Julia traversait assez d’épreuves pénibles en ce moment, il ne fallait pas en sus la heurter, la mettre mal à l’aise avec des questions un peu trop personnelles au risque de voir capoter tout le stratagème et de ne jamais connaître la vérité.