Perdue dans ses pensées, encore sous le choc, se remémorant plus que certainement des instants passés avec Pablo, Julia ne se rendait absolument pas compte de l’insistance avec laquelle elle était observée par sa sœur. Frissonnante, à moitié nue devant le miroir de la salle de bains, elle se décida finalement à prendre une douche. Elle se sentirait mieux et l’eau salvatrice la purifierait de toute cette fange. Rien de tel pour se remettre les idées en place. Surtout qu’avec ce qui l’attendait elle devait être forte et prête à toutes les éventualités. Elle allait devoir identifier le corps, elle en était malade. Revoir Pablo à la morgue relevait du tour de force. Rien que d’y songer, l’imaginer allongé sans vie, son visage exsangue, ses yeux clos à jamais, ses lèvres insensibles, froid comme du marbre, nu comme un ver sous un horrible morceau de plastique dans un milieu hostile serait sans nul doute un moment douloureux très difficile à surmonter.
D’un geste absent elle fit coulisser le rideau de douche sur son rail et tourna le mitigeur thermostatique. Elle se déchaussa maladroitement, laissa sa jupe tomber sur ses chevilles puis ôta sa culotte de dentelle blanche. Nue comme au premier jour, un corps à damner un saint, elle se glissa sous l’eau chaude.
Eléonore n’avait cessé de la regarder se déshabiller. Comme elle pouvait être belle. Même son auguste poitrine n’arrivait pas à gâcher sa superbe silhouette. Restait toutefois à éclaircir l’énigme des deux marques. Une sous chaque sein, de forme ronde, de la taille d’une pièce de dix cents. Brûlure de cigarette, opération chirurgicale, piercing raté... elle ne savait quoi penser. Elle en aurait bientôt le cœur net. Quand toute cette histoire sera réglée, elles auraient toutes les deux un long tête à tête, les choses seraient mises à plat et tout redeviendrait comme avant.
Les vapeurs d’eau chaude embuaient le carrelage bleu de la salle de bains. Elle ne l’aperçut pas de suite, puis en s’approchant un peu plus près du miroir, elle du se rendre à l’évidence, quelqu’un y avait précédemment écrit une phrase. La buée entourait les traces laissées par un doigt. Juste trois mots écrits en travers de la glace : je reviendrai Pablo. Si c’était une plaisanterie, elle était de mauvais goût. Eléonore relut les mots, c’est bien ce qu’il y avait d’écrit.
Julia finissait de se doucher. Eléonore empoigna une serviette de bains de dessus l’étagère et en hâte épongea le texte. Elle ne voulait en aucun cas traumatiser davantage sa sœur cadette. Comment pouvait-il prétendre revenir alors que les deux ombres d’à côté venaient d’annoncer son suicide. Revenir d’au-delà la mort ? Pourquoi pas ! Au point où elle en était ! A l’impossible nul n’est tenu. Si il veut réintégrer d’une façon ou d’un autre ce monde de dingues, la voie était libre, mais il ne faudrait pas compter sur elle pour l’y inciter.