De loin, on pourrait croire que je ne le fais pas exprès. Tu parles ! Faudrait-il que je marche dans la rue, que je voie en plein milieu du trottoir une bouteille de Yop abandonnée, que je remarque qu’elle a son bouchon et que son goût est "framboise intense", sans avoir le droit, le devoir, l’assurance, la possibilité, l’envie, la tentation, l’absurde attrait, de lui sauter dessus à pieds joints, de l’exploser en effrayant la populace huppée du quartier chic où je chemine pensif et vaguement désoeuvré ?
Non ! Proches de l’extase ou d’un matin de Noël, mes quatre vingt dix kilos s’élèvent gracieusement dans l’air monoxydo-carbonné et retombent lourdement sur le carafon plastoque blanc. A l’intérieur il y a compression de fluides, de liquides et de gaz, de tout ce qui est prisonnier, refluement rectiligne du centre vers les parois, embouteillage, bousculade, panique, affolement des molécules laitières, hurlements des ferments, effroi des arômes artificiels, vociférations colériques des particules de pulpe, mutinerie et tentative d’évasion. Au secours ! Aiuto ! Zu hilfe ! Finalement, on trouve le point faible et l’on s’arc-boute en grondant près du goulot fermé. On pousse, on sue, on s’efforce et, au bord de l’épuisement, on réussit ! Le bouchon cède !
Il faut le dire tel quel, c’est une éjaculation.
Le Yop framboise s’en va gicler sur le trottoir, un pas de porte en marbre, un bas de caisse automobile et mon pantalon crème. L’écoulement fait vite la joie d’un yorkshire qui se met à laper, le malheur de sa maîtresse qui, de sur ses hauts talons, glisse, perd l’équilibre, mouline des bras désespérément, tente de prendre appui sur l’atmosphère, n’y parvient pas, se dit qu’elle aurait du mettre des crampons comme au Mont Blanc l’été dernier bien que ce soit limite limite pour magasiner chez Dior, Prada, YSL, quoique chic chez JPG, pense au chat dans le vide et à Armstrong sur la lune, flotte dans l’espace, retrouve une gravité, retombe sur ses pattes et me traite de ...
- Petit connard !
Puis elle continue sa route en maugréant.
Bien sûr je suis hilare. Le malheur glissadier des autres, pour peu qu’il ne soit pas grave, au final, fait rire. Toujours ! Le cinéma, même encore muet, l’a bien compris dès le départ. Que de peaux de bananes, de tâches d’huiles variées, de tapis persans perçés, sacrifiés à l’autel du gras bidonnement, du tordage de côtes, du tapage de bide !
Je suis tâché mais heureux. En une seconde à peine j’ai rajeuni de 15 ans, sans coenzymes Q10, Q12, Q137 et Qcéré ! Je peux reprendre ma route qui ne mène nulle part sauf au délicieux abandon, à cette perte infirme de toute perception, à cette absence de sens, à cette nudité dure, à cette réclusion libre qui ouvre bien souvent les portes laquées de frais de l’inspiration nette, sans coulures affreuses, et du génie barbare. Je me perds pour retrouver le souffle, je m’éloigne pour être enfin présent, je m’abîme pour remonter la pente. Je péripathétise à trois noeuds l’heure et deux mille mots la passe.
Prêt à tourner les talons j’entends...
- Yop !
...provenant du dessous de la voiture garée là, une grosse allemande noire maculée de lait framboise, qui la fait ressembler à un dalmatien gay pride négatif ou aux fesses de Sédar Senghor en un jour de rougeole agressive. Puis une fumée, blanche et légère, s’échappe, remonte par le caniveau et s’égaille dans le gris parisien.
Panique ! Et si ...
Et si j’étais tombé dans un piège grossier ? Si la bouteille de Yop ne contenait pas du Yop mais un acide bodybuildé qui, capable d’entamer l’acier automobilo-schleuh, de le faire fondre, de le décomposer, détruirait le coton fin et racé de mon pantalon crème et pourrirait jusqu’à la moëlle mes mollets si mignons, commençant par mes poils délicats, continuant par la peau brune et lisse, dégommant mes muscles trop rares et mes os trop présents, me laissant unijambiste, capitaine Achab sans même une bite moby, Èanki de Brno, monstre des confins, handisportif teigneux.
Je vérifie en me penchant bien bas. A première vue, pas de trou, pas de fumée, pas de flamme, pas de flamme pas de feu. J’avance un doigt prudent. Le plonge dans une des gouttes et le porte à mon nez. Scan olfactif : ça pue, c’est peut-être du Yop ! Composition probable : lait demi écrémé de vache Holstein, prairies vertes et foisonnantes, herbe tendre de printemps, traces d’hydrocarbures, autoroute pas loin, présence de dioxyne, incénérateur proche, composés salins, y’a du complément alimentaire dans l’air, atomes d’aubépine, c’est le bocage normand, ferments industriels, coopérative puissante, arômes synthétiques chinois, la mondialisation en marche ne dénature pas la chimie victorieuse avec du naturel, spectres de vrais fruits, colorants bon marché. Ouf ! C’est vraiment du Yop !
- Excusez-moi ! Pouvez-vous m’aider ?
Quoi ? Qui me parle ? Je me redresse. Personne ! La rue est vide, triste, sans gain. Les murs de St Sulpice séparent hommes et priants, les façades cossues des immeubles immuables préservent les secrets les plus vils, étouffent les pensées, assassinent la gaité, terrorisent la vie, annihilent l’amour, les espoirs, l’humanité. Derrière les persiennes closes on travaille ou on survit sans bruit, on dort ou on mange la bouche bien fermée. Les moteurs des voitures ne ronronnent même pas, les chats marchent sans bruit dans les hautes gouttières, les oiseaux sont posés et ferment leur bec. Seuls les rats pullulent dans les tréfonds noirs des égouts affolants. A ce que je remarque nulle autre âme que la mienne - mais l’impie a-t’il une âme ? -, ne pollue la quiétude, le vide, l’absence, le désert, de la rue Palatine, Paris rive-gauche, 6e arrondissement, à ce moment précis. Sauf que ...
- Je suis là !
- Mais où ?
- Sous la voiture, je suis coincé !
Mais quel est l’abruti qui a eu l’idée fumeuse de se fourrer sous une voiture ? A l’arrêt !
Seuls les garagistes méritent cette posture, assassins de jeunes freins, vidangeurs de carters, emmanchés de la boîte, enfoncés de la culasse, impuissants du piston, escrocs notoires, illuminés congénitaux sans plomb 95, faquins, marauds, crétins, ... cons ! Garagiste, ta cotte tâchée de graisse est une cloche de lépreux faite pour que l’on t’évite. Cache-toi, vilain, planque-toi laideron, parasite de l’auto, rampe, rentre sous terre et ne reviens jamais !
- Hum !
- Quoi !
- Aidez-moi, je vous en supplie ! J’étouffe.
Les Lumières et les Saints se bousculent dans ma tête. le bien, le mal s’affrontent en un combat douteux. Dois-je être magnanime ou fidèle à ma haine ? A l’âme détestable dois-je apporter secours ?
- Vite ! Vite !
Un gala de bienfaisance m’emplit d’un coup, incontrôlable et gai. Oui, je vais t’aider pauvre homme, te soutenir pauvre erre, te donner "tout de même à boire " sur injonction de mon père. Je me baisse, tends la main.
Trois doigts rosâtres et gluants accrochent immédiatement mes phalanges délicates et palmolivées de frais. Beurk ! Je suis pris d’une formidable envie de vomir, d’un majestueux besoin de renvoyer mes raviolis porc-champignons noirs du "Délices de Bucci", d’un désir ébouriffé de me retourner l’estomac comme une peau de lapin. Et puis j’ai un peu peur...
Néanmoins, je tire d’un coup sec et extrais du monde canival un géant oblong aux formes rebondies qui n’est pas sans rappeler le p’tit Bibendum Michelin au jour de sa communion solennelle. Haut de deux mètres et quelques, pesant quelques quintaux, le chose est massif, central, impressionnant, vêtu comiquement d’un survet ample à trois bandes quetche pâle, soquettes Björn Borg, baskets Barbie à grosses fleurs en relief, Machin serait risible s’il n’était aussi ... imposant.
- Merci !
- Pas de quoi !
- Tu m’as sauvé.
- Mais ... Heu ! Qu’est-ce que tu-vous foutais sous cette caisse ?
- Je n’étais pas sous la voiture, j’étais dans la bouteille !
- Quoi ???
- Je suis le Génie du Yop !
Ca y est, ça recommence ! Pin pon ! Pin pon ! Tululut ! Tululut ! Dans son chalet cossu des Alpes helvétiques une petit marmotte emballe du Milka, Scully dit à Mulder "si je t’attrape je te serre", David Vincent voit des auriculaires partout, Bernadette saoule Birou, Fatima fourmille de frissons faméliques et moi, moi, j’ai des visions, aussi ! Je suis très habité. L’au-delà me visite comme une vieille tante indigne qui confierait son chat pour aller à con-fesse. Les anges me dérangent et Dieu s’invite souvent.
Or, mais n’est-ce pas le propre de l’homme que d’être un paradoxe, il n’y a pire athée que moi, pas plus impie gnosé. Je ne crois en rien, pas même en moi. Comment envisager dès lors mon credo envers d’autres.
Je doute de ma boulangère quand elle rend la monnaie et je devrais croire en une forme d’esprit divin, un grand architecte, une intelligence supérieure qui serait tellement intelligente et supérieure qu’elle laisserait crever dans les savanes brûlantes tant d’enfants affamés, dans les neiges tchétchènes tant de femmes envoûtantes, ces amants plus ou moins maudits, de partout dans le monde, qui crèvent de cette maladie d’amour qui courre, qui courre et unit dans son lit les cheveux blancs les cheveux gris, sans parler des poulets qui éternuent et des tubards qui toussent, qui aurait créé Adolphe H., Joseph S. et ma tante Sylvaine ? Bon ? Dieu ? Hum ! Allons ! Un peu de sérieux !
Je suis, au stricte minimum, un sceptique pas même zététique.
Fruit d’une union charnelle dont je ne veux rien savoir ( pas même le menu du dîner qui a précédé l’accouplement de mes géniteurs en ce soir d’octobre 1964 dont la fraîcheur poussait plus au rapprochement des corps sous la couette qu’au nudisme intégral place du Trocadéro, pas même s’ils avaient apprécié les trois chansons de Barbara dans le Discorama présenté par Denise Glaser à l’ORTF en noir et blanc (mais Barbara n’était-elle pas toujours en noir et blanc ?), encore moins si c’est la perspective de pouvoir voir la chanteuse prochainement à Bobino en première partie de Georges Brassens qui avait empli les corps caverneux de mon paternel... Non ! Nooooon ! Je n’en veux rien savoir...), je ne peux être le fils d’un dieu, ni même sa création en Play Doh. De là, le big-bang est réel. Darwin est un prophète.
Les amibes n’ont pas d’âme, les microbes pas d’autel. Dieu est une création politique, un dictateur d’autant plus puissant qu’il est invisible, d’autant plus castrateur qu’on le dit omniscient et omnipotent. Les cloches dominicales me cassent les grelots. Je croasse au passage des bigots. Je pourrais piller les troncs. Je hais les bondieuseries, les jupes plissées bleu marine, les mariages religieux, la morale imbécile, c’est à dire extérieure.
Mes saints sont liquides : Emilion, Estèphe, Chinian, Amour, ... Mes saintes ne le restent pas longtemps, qui m’invitent à une dévotion particulière de leur trinité divine : téton droit, téton gauche, Vénus et son mont.
Jamais je n’ai donné quelque raison aux esprits non-humains de s’introduire chez moi. Mais, tels des vendeurs malingres d’aspirateurs pourris, ils reviennent sans cesse porte-à-porter mon crâne et m’embrouiller l’esprit.
Je vois des dieux partout même quand je ne suis pas saoul, des saints au matin provoquant du chagrin, un Achille du soir simplement pour l’espoir, Terpsichore et Euterpe qui embruyent mes nuits. Je ne suis pas fou, croyez moi, je suis un cosmogône hanté !
Alors, ce n’est pas l’apparition sucrée d’un gros Miko parfait qui va m’impressionner !
- Pfouh !
- Si, si, je te jure. Tu as ouvert la bouteille et me voilà ! Et ... je vais, pour te remercier, exaucer un de tes voeux.
- Ah ! Ah ! Ah !
- Je suis sérieux !
- Permets-moi d’en douter ! Non mais ... T’as vu ta tronche ? On dirait un Ronaldo javellisé, un Attila crémeux ! T’as vu tes cheveux ? C’est quoi ce chapelet de mini Knakies fourchues qui rappelle les riches heures capillicoles de Karen Cheryl, Douchka et Olivia Newton John ? T’as vu ta peau en fesses de bébé acnéique ? Et ta tenue de merde !
- L’habit ne fait pas le moine !
- M’enfin ! Quand même ! Tu te rends compte que pour devenir technicien de surface dans le métro il faut se présenter avec une cravate et les ongles limés ! Tu n’es pas plus crédible en génie sans bouillir que moi en drag-queen Dalida !
- Mais ...
- Alors, si tu m’appâtes avec un voeu et qu’il ne se réalise pas, je vais devenir furieux et il se pourrait bien que tu finisse en vulgaire chantilly mal montée.
Yopi Yopa se gratte le crâne et réfléchit intensément.
- Bon, d’accord, je vais t’accorder deux voeux. Le premier pour te prouver que je ne suis pas un guignol et le second pour de vrai. Mais ...
- Pfouh !
- ... mais, le second, c’est moi qui le choisit.
- Ce n’est donc pas un voeu !
- Je lis en toi !
- Ah !
- Bien sûr !
- Tiens et bien si tu peux me retrouver le numéro de portable de N. parce que je l’ai perdu ...
- 06.84. ...
- Stop !
Reste que je ne sais pas ce que je pourrais bien désirer. Je suis en bonne santé générale malgré une alcoolémie envahissante et une tabagie essouflante, j’ai un toit, de quoi manger, un peu d’argent, une voiture confortable, quelques bons amis, beaucoup de connaissances, je parle aisément l’anglais et quelques autres dialectes barbares, je sais lire et écrire,... Peut-être me manque t’il l’affection de ma mère, la jeunesse éternelle (bien que la cosmétique industrielle et la gym-tonique de masse s’y essaient) et la présence constante à mes côtés d’une femme qui m’aime réellement. Mais, quitte à faire un voeu ...
- Alors ?
- Attends ... Je voudrais ... La paix sur la terre !
- Oh ! Oh ! Oh ! Voilà qui est ambitieux !
- C’est trop pour toi ?
- Non, non !
Le voilà qui lève ses mains boudinées et les choque deux fois l’une contre l’autre éclaboussant de fluide framboise les alentours dont ma veste et mon front. Concomitamment il prononce hautement et clairement :
- Yopi ! Yopa ! Cada dia te quiero mas ! Yopi yopi yopi yopa ! Cada dia te quiero mas !
Puis il sourit, le bougre !
- Voilà !
- Voilà ! Voilà quoi ? C’est tout ?
- Oui !
Ce que je ne sais pas c’est que ...
A Baghdad on s’embrasse en s’envoyant des fleurs, au Darfour on se remet à cultiver, on ponge à Pyongyang, on pactise à Grozny, on se libère au Liberia, on fait la bombe en Corse, ... Tout conflit cesse à l’instant.
La nouvelle tombe de suite sur les télescripteurs. Les rotatives cessent de roter, l’encre de baver, le papier ne défile plus. Edition spéciale ! Edition spéciale ! Peu après, le crieur Ali s’égaille dans les bars et bistrots germanopratins :
- Ca y est ! Ca y est ! Dassault la faillite ! Ca y est ! Ca y est ! _ George et Saddam amoureux ! Ca y est ! Ca y est ! C’est la paix !
S’il est vrai qu’à Paris on danse modérément, dans d’autres capitales, dans d’autres grandes villes, la liesse est générale, totale, inopinée, profondément joyeuse. A new-York on découpe et lance quelques milliards de feuilles de PQ, à Pékin on sort les dragons de feu, à La Havanne on s’en roule des comacks que l’on fume assis sur les capots rutilants de vieilles Studebaker grenat à jantes jaunes à peine écaillées en regardant salser des souplesses pépubères et bronzées à l’avenir radieux.
- Regarde, me dit Yip Yop me montrant dans les vitrines les écran enflammés des télévisions moins mornes, tout cela, c’est grâce à toi. Merci ! Merci pour eux ! On appelera ce jour le C-Day, le jour du Claude !
Je rougis. Mais qu’est-ce qui m’attend maintenant ! Si ce gonze est bien un génie, doute persistant malgré tout, quel sort va-t’il me réserver ? S’il a lu dans mon cœur, s’il a déchiffré mon âme sacrilège, s’il a trouvé ses petits dans mon foutoir cortexique, que peut-il bien y avoir trouvé ? Ai-je bien rangé la chanson de Souchon, "j’veux du cuir, pas du peep-show, du vécu, j’veux des gros seins, des gros culs", enterré le dernier projet d’assassinat de je ne sais plus moi-même quel fasciste plus ou moins notoire, remisé précautionneusement mes envies de devenir star du Rock, cocaïné jusqu’à l’os, montrant mon service trois pièce sur scène en hurlant "ce matin un lapin a tué un chasseur" sur une base de Death Metal chevronné ?
Quand j’avais cinq ans, je voulais devenir pompier, avec une très grande et très puissante lance (envie qui, étrangement, fit son retour à l’âge de quatorze ans suite à une catastrophique comparaison entre mes attributs et ceux de Jérome B. sous une douche d’après match). A sept ans, époustoufflé par le génial dandisme d’Arsène Lupin, je rêvais d’être gentleman cambriloleur, ambition de courte durée. Juste après un unique méfait, qui a consisté à piquer trois chewin-gums dans la chambre de mon grand-frère en passant par les gouttières, je me suis fait pincer en mastiquant et rudement sanctionner sans pleurer. Trois jours sans dessert ont eu la peau de ma malhonnêteté naissante, aussi romantique fut-elle. Pris au jeu de la sanction je m’ouvris ensuite un avenir policier. Rejoindre les Brigades du Tigre et jouer de la savatte pour terrasser les plus immondes malfrats me paraissait être le plus rugissant des destins. Bien sûr, comme tous les garçons de ma génération, j’ambitionnais d’être, tour à tour, Zorro, Tarzan, James West, petit scarabée Kwai Chang Caine, Vernon Sullivan, Bobby Ewing pour le fric qui permettait de niquer Victoria Principal-Pamela, Arthur Rimbaud (mais pas pour niquer le petit Paul V.), Sonny Crockett, Ché Guevarra, Don Giovanni, Jimmy Page, Donatien-Alphonse-François de Sade et, bien sûr, Jim Morrison.
Ce que j’aimerais, aujourd’hui ? Ecrire "les Misérables", "Voyage au bout de la nuit" ou le "manifeste du Parti communiste", "les fleurs bleues", "la vie mode d’emploi" ou "elles se rendent pas compte", la Bible ou le bottin pour le tirage et "l’homme qui voulait vivre sa vie", passer la nuit avec une Princess batave ou Cameron Diaz, voguer autour des îles en chantant, nu, puis vendre des lunettes à la télévision, découper un patron sans lire Modes et Travaux, fabriquer des t-shirts en France, passer à Apostrophes ou au Grand Echiquier, mourir sur scène sans même en avoir fait.
- Ca fait beaucoup !
- Quoi ???
- Tout ce à quoi tu penses...
- Hé oui ! Ce serait tellement simple de vouloir être technico-commercial dans l’automobile ou sous-chef de bureau à la Sécurité Sociale !
- D’accord ! On va faire simple ...
Il lève ses mains boudinées et les choque deux fois l’une contre l’autre maculant ce qui était précédemment resté propre et prononce hautement et clairement :
- Yopi ! Yopa ! Cada dia te quiero mas ! Yopi yopi yopi yopa ! Cada dia te quiero mas !
Pfoufff ! Je sens un trifouillement dans mon crâne, comme une invasion de fourmis ou l’activité d’une ruche autour de la reine, comme une livraison matinale à Rungis ou un retour de février au Tunnel de Fourvières. Puis le monde s’éclaire.
Depuis ?
Je suis simplement heureux.
J’arrive au travail à neuf heures trente. J’allume mon ordinateur. Je travaille jusqu’à midi et je déjeune au self avec mes collègues. Nous rigolons drôlement bien.
Le soir je quitte à six heures. Je prends le métro puis le train où je lis Le Figaro Nouvelle Formule.
Cécilia a préparé le dîner. J’embrasse les enfants, je me lave les mains et nous mangeons en regardant le journal de TF1.
Le mardi et le samedi, nous faisons l’amour avec ma femme, en nous retenant de faire du bruit pour ne pas déranger le sommeil des petits.
Quelques fois, il m’arrive de penser que je suis un peu con. Mais quelques fois seulement...
Avec cette vie que je mène, je n’ai pas de temps à perdre avec ces idées noires !!!