Il y a quelques mois, début 2003, j’ai reçu un courrier d’un ami. C’était une lettre étrange, qu’il avait lui même reçue de l’une de ses relations. Elle était accompagnée d’un article découpé dans une revue d’occultisme assez confidentielle « Lumières d’ailleurs ».
L’article de journal était passablement jauni. Daté de l’été 2001, il rapportait l’interview d’une célèbre voyante de l’époque qui avait eu les faveurs des médias lors d’une affaire ténébreuse.
Le texte ne donnait pas l’impression de questions préparées à l’avance. Une certaine spontanéité se dégageait de l’échange de propos.
« Madame Mauresson bonjour ! Tout d’abord, une première question peut être saugrenue, Mauresson, est ce votre nom ?
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Oui, tout à fait ! Marie-France Mauresson selon l’état civil. Née le 23 février 1976 à Evreux dans l’Eure.
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Vous ne trouvez pas que cela manque de mystère ? Vous n’avez jamais songé à changer votre nom, à prendre un pseudonyme ?
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Genre « Anastasia l’extra lucide » ou « madame Irma » ! non très peu pour moi. Je n’ai pas honte de mon patronyme, mes parents n’ont pas honte de ce que je fais et de la façon dont je le fais.
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Très bien, madame Mauresson.
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Appelez moi Marie-France.
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Eh bien Marie-France expliquez nous votre façon de travailler. Quels sont vos supports ?
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Vous voulez parler des boules de cristal, des tarots, ou du marc de café …
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Oui exactement ! quel est votre support mental ?
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Je suis désolée de vous décevoir une fois de plus. Je n’ai pas de surnom exotique et je n’utilise pas de support .
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Rien du tout ?
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Si ! J’ai besoin d’un contact avec la personne qui sollicite mon intervention.
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Contact physique ?
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Oui, mais un simple contact avec un objet ayant appartenu à la personne sur laquelle je dois me concentrer, suffit.
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Vous en avez besoin pour étayer vos interprétations ?
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Non absolument pas !
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Pouvez vous nous donner quelques explications ?
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Oui ! c’est très simple, je ne fais pas d’interprétation.
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Pourquoi ?
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Toute interprétation est subjective. Or mes visions sont objectives…Je vais vous donner un exemple. Hier j’ai reçu la visite d’un jeune homme d’une quinzaine d’années. J’ai eu une vision très claire. J’ai vu un homme d’âge mûr en uniforme face à une mer turquoise. L’homme se tenait assez loin de moi et portait la barbe. Je suis incapable de dire si cette image est celle du jeune homme dans vingt ans, je ne sais pas si l’uniforme est celui d’une armée, d’une milice ou d’un ordre religieux. Je ne sais même pas si la mer que j’avais sous les yeux est en Europe, en Afrique ou en Asie … Qu’est ce que vous voulez que je lui dise ?
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C’est pour cela qu’il faut lui poser des questions.
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Je vais lui demander s’il veut être marin ou aviateur et s’il veut voyager. Alors que dans vingt ans il sera peut être guide dans un parc national !
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Alors que lui donnez vous ?
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J’ai fait l’acquisition d’un ordinateur performant avec un logiciel de dessin et je décris l’image que j’ai sous les yeux ! je la décris avec suffisamment de précision pour obtenir quelque chose d’utilisable par mon client. C’est le client qui interprétera l’image comme il l’entend.
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Puisque vous utilisez le terme de « client », quel est le tarif d’une image conçue de cette façon ?
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1000F la représentation de la vision. Elle me demande en général deux heures de travail. Je fournis une facture et j’ai un expert-comptable qui s’occupe de ma comptabilité.
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Pouvez vous nous raconter une anecdote ?
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Oui bien sûr, j’ai eu entre les mains il y a plusieurs années une bague qui avait appartenu à une petite fille. Elle avait disparu mystérieusement à la sortie de son école et la police n’avait trouvé aucun début de piste. Sa mère en désespoir de cause m’avait amené cette bague près de trois mois après la disparition. Dès que je l’ai prise dans le creux de ma main, j’ai eu une image très nette. L’image d’un chalet avec une montagne en arrière plan. Je n’ai jamais vécu dans les Alpes mais cette montagne avait une forme très particulière. La mère, en voyant le dessin, avait immédiatement reconnu une image du Cervin en Suisse. Or la dame avait un oncle qui vivait là bas. Elle ne l’avait pas vue depuis de nombreuses années. Lorsque la police arriva chez le vieil homme elle retrouva la petite fille qui vivait très confortablement dans le chalet de son grand-oncle en mal d’héritier. Comme vous le voyez je n’ai fait aucune interprétation. J’ai simplement représenté ce que j’avais vu et c’est la dame elle même qui a interprété les images que je lui ai fournies. »
Les photos qui accompagnaient l’article montraient une femme jeune, petite, brune aux cheveux courts avec un visage agréable et expressif.
Le témoignage me paraissait épuré de toutes les scories liées au décorum des marabouts et autres voyants en tous genres. Le courrier joint était également très intéressant.
La lettre était écrite à l’encre bleue, d’une petite écriture nerveuse. L’homme qui l’avait envoyée (le billet était signé « Philippe ») était manifestement la proie d’émotions violentes.
« Mon cher Hervé,
Je te remercie pour la compassion que tu as su exprimer dans ta dernière lettre. Françoise et moi te sommes infiniment reconnaissants d’avoir trouvé les mots les plus appropriés pour soulager un peu notre peine.
Je ne te cacherai pas que j’étais à deux doigts de me foutre en l’air. Grâce à ton aide, cela va maintenant un peu mieux et j’estime que je te dois quelques explications.
J’ai joint un article sur une voyante que j’avais eu l’occasion de voir à la télévision. Elle m’avait fait une excellente impression. Or à cette époque Christian était déjà aux Etats-Unis depuis deux ans, et il nous avait fait connaître son intention de s’y établir définitivement. Françoise ne se réjouissait pas à cette idée mais notre fils était un garçon aux idées bien arrêtées et il savait parfaitement ce qu’il faisait.
Néanmoins, pour des raisons que je n’ai toujours pas analysées, après avoir vu cette madame Mauresson à la télévision, j’ai décidé de la contacter.
Prendre un rendez-vous fut relativement aisé car elle habitait à Arcachon.
Françoise n’avait pas voulu m’accompagner. Je me suis donc rendu à son cabinet seul. J’avais pris la gourmette de Christian, car c’était pour lui que j’avais sollicité cette consultation. Ses projets m’inquiétaient et j’avais besoin de me rassurer. Je voulais savoir si son choix était le bon ou si au contraire, je devais tout faire pour l’en dissuader.
Madame Mauresson était une charmante dame qui me fit une bonne impression dès le premier abord. L’entretien se déroula très exactement comme il est décrit dans l’article de journal. Elle prit la gourmette entre ses doigts, ferma les yeux et attendit une vision. Comme elle tardait à venir, elle me pria de lui confier la gourmette afin qu’elle puisse recommencer dans la soirée.
Je lui laissais donc le bijou et notre numéro de téléphone puis je rentrais à Bordeaux.
Le lendemain matin, elle appela vers dix heures pour dire qu’elle avait eu une vision dans la nuit. Elle se tenait à notre disposition pour nous rendre la gourmette ainsi que son travail de la nuit. Comme je n’avais rien de particulier à faire, je me rendis immédiatement à son cabinet. Elle m’attendait souriante mais légèrement tendue.
En me remettant une grande enveloppe elle me dit d’un air gêné.
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J’ai eu ce flash assez tard dans la nuit. C’est assez incroyable .
Je tremblais en ouvrant l’enveloppe. Le dessin qu’elle avait réalisé avec l’aide de l’ordinateur était tout simplement ahurissant.
Il s’agissait d’une salle, en haut d’un building, avec une grande baie vitrée. Au travers de la baie on pouvait observer un autre building, très proche, dans lequel venait s’encastrer un avion . Dans la pièce se trouvait également un homme habillé en rocker appuyé sur une vieille Harley Davidson qui observait la ville de dos.
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Il semble que la personne à qui appartient cette gourmette sera le témoin d’un accident tout à fait exceptionnel.- me dit elle.
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La gourmette est à mon fils. Il habite aux Etats-Unis.
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Eh bien votre fils va assister à un événement extraordinaire. Où travaille t’il ? Dans un building !
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Non, pas du tout ! il veut monter une société de courtage à Wall Street. Pour l’instant il a trouvé des locaux dans un petit immeuble en dehors de Manhattan ! Que signifie cet homme et cette moto en haut de l’immeuble ?
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Je n’en ai pas la moindre idée !mais aux Etats-Unis il faut s’attendre à tout lorsqu’il s’agit de publicité ...
Elle me tendit l’enveloppe et la gourmette. A ce moment là j’ai dû dire quelque chose comme.
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Il va falloir que je lui envoie sa gourmette.
Elle m’avait regardé en souriant et avait ajouté.
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Je me rends à New York la semaine prochaine, à l’invitation d’une télévision locale. Si vous voulez je peux lui remettre directement. Ça évitera qu’elle soit perdue par la poste.
Je l’avais chaleureusement remerciée et je lui avais remis les coordonnées de Christian.
Quelques jours plus tard, Christian nous avait appelés, comme il le faisait d’ailleurs chaque semaine. Il nous disait, entre autre, qu’il avait été contacté par une certaine madame Mauresson qui souhaitait lui remettre un colis de notre part. J’avais rassuré notre fils. Il avait convenu d’un rendez-vous avec la voyante le lendemain dans un salon du World Trade Center.
Son coup de fil datait du 10 septembre. Ce furent les derniers mots que nous échangeâmes. Christian et madame Mauresson firent partie des quelques victimes françaises de la tragédie du 11 septembre.
Tu comprends mieux le sentiment de culpabilité qui m’étreint lorsque je pense à tout cela.
Christian n’avait rien à faire dans ces tours ce jour là, et madame Mauresson non plus ! celui dont l’action a conduit à cette catastrophe, c’est moi et moi seul ! je sais que je porterai pour le restant de mes jours le poids de cette culpabilité… Il faut maintenant que j’apprenne à vivre avec.
Bien amicalement
Philippe. »