Deux fois, j’ai perdu des lunettes à plus de trois cents euros. Elles n’étaient pas exceptionnelles. Leurs verres progressifs seuls étaient coûteux, à moi comme à ma mutuelle.
Le jour où j’ai égaré ma deuxième paire, je lisais "Beach music" de Pat Conroy et ceux qui connaissent le livre savent qu’il est humainement impossible d’envisager de le poser avant le mot fin. Je me faisais violence pour manger, me moucher, dormir, aller travailler, respirer, prendre une douche. L’imbécile perte de mes lunettes, à côté ...
J’allais chez l’opticien et trouvais porte close. De toutes manières, qu’aurait-il fait pour moi ? Au retour, je passais devant une pharmacie dont la vitrine exposait des "loupes de lecture" dont une paire se trouvait aimablement gratuite pour l’achat de l’autre. J’entrais et fus sauvé. Pour trente euros les deux je pus alléger ma souffrance et finir mon Conroy.
J’oublie toujours mes loupes de lecture n’importe où. Et cela n’a pas grande importance. Je peux facilement m’en acheter une autre paire dans n’importe quelle boutique. J’en ai même acquis chez Lidl, à trois euros et quatre-vingt-dix centimes, et au tabac de la Gare du nord.
Et puis j’ai eu Marie au téléphone. Il faisait beau mais Marie pleurait, inconsolable, essayant de m’expliquer que son mari l’avait mise à la porte, ne voulait plus la voir et demandait la garde exclusive de leur fille unique parce qu’en se mettant au lit, en tapotant son oreiller, il avait trouvé une paire de loupes de lecture qui n’appartenait assurément pas à sa maison.
Je perds toujours mes lunettes.
Cela pourrait ne pas être grave.