Le conseil s’est réuni pour juger de son projet, de sa création. C’est l’instant de la délibération. Il espère la juste reconnaissance de son œuvre, mais au fond de lui il en connaît les imperfections.
Le président du conseil, un de ses pairs, prend la parole. La mine est sombre mais le timbre ne tremble pas.
Il relève le caractère gigantesque du travail accompli, sa complexité, son harmonie, sa beauté. Mais rapidement il en arrive à la touche finale, ce qui aurait dû être l’accomplissement mais qui malheureusement fait tâche.
S’adressant à l’auteur, il semble compatir mais n’en demeure pas moins inflexible.
Pourquoi t’être tant investi dans ton projet et n’avoir pas su conserver ce recul qui t’aurait préservé. Tu as tant donné de ta personne que cet échec rejaillit sur toi.
Il relève la tête. A quoi bon cette mascarade, à quoi bon ces pairs virtuels. Il les efface d’un geste. Il est seul, seul face à son œuvre. Personne pour en juger, mais lui il sait. Il est insatisfait. Il pourrait essayer de corriger de reprendre ces détails qui l’insupportent mais il se sent las. A quoi bon !
Un souffle, un seul, et le château de cartes s’effondrera, et ce qui aura été ne sera plus. Il cherche désespérément des raisons pour ne pas en arriver à cette ultime solution, mais il sait qu’en vérité il ne fait que se chercher quelques excuses, il ne fait que chercher à relativiser son échec, relativiser, quelle ironie. Mais il ne peut tricher avec lui-même. C’est sans appel.
Une voix lui crie
Père !
Il sourit tristement, il retient son souffle, une fraction d’éternité, puis d’un geste fatigué, il efface, et tout disparaît à l’instant.