Voyageant au gré de la chaude brise de l’été Tourangeau, vagabondant entre les délicieuses senteurs florales et épicées d’un jardin chaleureux, un jaune papillon aux ailes cerclées de rouge survola les ardoises noires d’une vieille maison de tuffeau jaune effrité par les siècles. Continuant sa naïve course, il plongea vers le bas monde, battant fébrilement des ailes en suivant le chemin d’une gouttière argentée, virevolta au dessus d’une terrasse désertée sous les fiévreux rayons du soleil de treize heures, et se laissa emporter vers la fraîcheur paisible et réconfortante de l’ombre d’un vieux tilleul centenaire. Fatigué de son effort, il se posa délicatement sur le bois sombre d’une table d’extérieur, reprenant ses forces avant de repartir à la conquête de narcissiques fleurs à butiner. A cette table était assis un homme qui, paisiblement, lisait un livre. Son œil était bleu, profond et vif, mais sa peau était flétrie tel un vieux parchemin de bibliothèque, et ses cheveux gris, courts et propres, dénonçaient son âge avancé qu’il ne cherchait pas à cacher. L’homme effleura une blanche page de l’extrémité de ses doigts habiles et noueux, la tourna et replongea son regard passionné sur les notes riches et captivantes de l’histoire. Sa bouche, discrètement, esquissa un sourire d’enfant, tandis que son regard, pétillant comme la fraîche eau d’une fontaine, remarqua le téméraire papillon qui s’était posé à quelques centimètres seulement de sa main. Non loin de là, un chien aboya de sa voix rauque et paresseuse, le papillon en profita pour reprendre sa course poétique au travers des cieux. L’homme se leva, déposa précautionneusement Gargantua sur la table, et traversa, sans se presser, la cour de falun jaune brûlant, parvenant à la barrière en pin de la propriété, où un homme faisait sonner une cloche aux notes mélancoliques. L’homme était étranger aux souvenirs de l’autre homme, mais sa luisante chevelure noire, aussi noire que l’âme des pierres dressées de Carnac, et ses yeux d’un marron sombre et pénétrant, lui firent immédiatement remonter à la mémoire l’image encore nette de son vieil ami Jérôme.
Tu es le fils de Jérôme ? demanda le vieil homme, tout en offrant une poignée de main vigoureuse à l’inconnu.
L’étranger parut étonné de ces paroles, ses sourcils clignèrent et il sonda de ses yeux envoûtants le regard ferme du vieillard, comme s’il cherchait à y découvrir d’anciens trésors enfuis sous l’obscur humus du passé.
Comment l’avez-vous deviné ? questionna-t-il d’une voix mélodieuse, sans quitter le regard de l’ancien ami de son père.
Le vieillard sourit, faisant saillir ses rouges pommettes et tassant les rides de ses joues.
Sois le bienvenu chez moi ! répondit-il en levant les mains au ciel. Je suis Guthrif Daneaxelet, et toi, tu es mon invité ; entres donc !
Le verrou du portail grinça amèrement, esquissant une brève grimace sur le visage fané du vieil homme. Celui-ci ouvrit le portail et invita, d’un léger signe de la tête, son invité à pénétrer dans la cour intérieure. Le jeune homme remercia l’ancien ami de son père et avança de quelques pas légers dans l’enceinte de la propriété. Le vieux Guthrif le rejoignit après avoir refermé le portail de pin, et le conduisit à l’ombre du vieux tilleul où il le convia à s’asseoir. Puis il le pria de patienter quelques moments, et disparu de sa vue. Lorsqu’il revint, il portait un plateau chargé qu’il déposa sur la table de bois foncé, en face de son hôte. Il empoigna fermement une sombre bouteille aux couleurs vermeilles, en versa le contenu dans deux petits verres, et en tendit un au jeune homme.
C’est de l’épinette, expliqua-t-il avec la malice d’un jeune garçon, une liqueur locale aussi vieille que les pierres de ma maison. On la confectionne avec les jeunes pousses de prunelliers - il désigna la haie du fond de son jardin - ainsi que quelques autres herbes aromatiques.
L’homme trempa ses lèvres fines dans le sombre breuvage, mais il n’en fit aucun commentaire. Il observait chaque détail, chaque pli de peau du vieillard, avec l’attention d’un chat guettant une proie. Il avait rapidement remarqué le collier de Guthrif, un collier semblable à ceux que l’on pouvait trouver dans les vitrines poussiéreuses du musée national de Copenhague, un collier constitué de douze perles : six de verre brut, deux d’ivoire de morse et deux de bronze. Mais les perles n’étaient guère intéressantes comparées aux trois pendentifs - deux d’argent et un de bronze - représentant trois marteaux de Thor, l’arme fracassante du dieu scandinave à la barbe rousse, que portait ce collier. L’homme avait également remarqué l’anneau d’or - un serpent se mordant la queue - qui ornait la main gauche du vieillard, et ses deux bracelets cuivrés, enserrant son poignet droit, dans le style byzantin classique.
Jérôme ne m’avait jamais dit qu’il avait un fils ? déclara le vieillard en plissant ses yeux fatigués.
Il ne savait pas qu’il en avait un, répondit le jeune homme, de la tristesse dans la voix. Ma mère est partie sans le mettre au courant, et elle ne l’a plus jamais revu. Ce n’est qu’aujourd’hui qu’elle m’a enfin parlé de lui, bien trop tard...
Si tu ne l’as jamais connu, la tristesse de son départ n’en sera que moindre.
En effet, confirma l’homme, mais j’aimerais mieux le connaître. Ma mère m’a parlé de lui, de ses goûts et de sa vie, mais toi seul pourras me parler de sa religion...
Il lança un regard implorant au vieillard. Guthrif baissa la tête, se servit d’un succulent rillon doré et le dégusta lentement, fermant les yeux comme si c’eut été le plus incomparable des plaisirs à ses sens. Puis il but une petite gorgée d’épinette et releva les yeux vers son convive.
Je suis en effet la personne la mieux placée pour te parler de la religion de ton père, admit-il en esquissant un petit sourire rêveur, mais avant que je ne te dise quoi que ce soit, il faut d’abord que tu me révèles ton nom et que tu me dises, sincèrement, quelles sont tes croyances.
Je m’appelle Julien, dit-il. Je suis athée.
Le vieillard sourit.
Ton père aurait été fier d’avoir un fils de ce nom, lui qui était un fervent admirateur de Julien le philosophe. Mais tu aurais eu de difficiles relations avec lui si tu l’avais connu de son vivant ; il en serait tombé malade de savoir que son propre fils n’étais pas un fidèle de l’ancienne religion, lui qui y a consacré toute sa vie...
Le jeune homme fronça les sourcils, apparemment déçu de cette révélation.
Je me suis renseigné sur le paganisme, avoua Julien, mais mes recherches m’ont amenée à des résultats totalement opposés les uns des autres... J’ai besoin que tu m’éclaires, je veux que tu m’expliques ce qu’est le paganisme.
Je veux bien t’éclairer, mais avant toute chose, tu dois savoir que je suis un nordisant, c’est-à-dire un fidèle des dieux germains et scandinaves. Ton père, lui, était nuministe, il vénérait les dieux romains. Nous n’étions donc pas en accord parfait sur tous les points concernant la question religieuse, mais beaucoup de choses se rejoignaient malgré tout dans nos deux religions.
Ce n’est pas grave, répondit le jeune homme, ton point de vue me contentera largement.
D’accord, dans ce cas je vais tout d’abord te parler de l’origine du mot « paganisme » qui est nécessaire pour comprendre le sens de mes propos futurs. N’hésites pas à te resservir d’épinette pendant que je parles.
Il lança un clin d’œil à son invité.
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Dialogue d’un Païen
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Voici le début inachevé d’un dialogue philosophique. il s’agit en fait d’un essai de style.