1
Lorsque nous marchons, ici, sur ces terres, nous sommes constamment entourés de brumes épaisses qui nous étouffent et nous empêchent de marcher droit.
L’obscurité oppressante de cette nuée pourtant blanche nous cache presque totalement du soleil, seul persiste de temps à autre un cercle brillant faiblement.
2
Ici, les distances paraissent longues lorsqu’elles sont courtes et courtes lorsqu’elles sont longues. Toujours nous voyons notre but, jamais nous ne savons quand nous l’atteindrons car le terrain qui paraît plat et facile est accidenté et difficile. Jamais nous ne pouvons prévoir et croire en notre arrivée tant les dénivelées et les creux sont nombreux.
Lacs et vallées vertes parsemées de pierres se mêlent à l’infini : L’espace est identique et le temps paraît figé.
3
Dans cette terre d’errance, où se déroule notre existence actuelle, pas facile d’avoir de vos nouvelles.
Isolés par la nuée, nous en venons même à douter de notre humanité et surtout de notre existence : Suis-je ici, là ou là-bas ? et si je suis ici qui peut me le dire ? ainsi là-bas pourrait être aussi ici, et ici là, et là là-bas, de fait que nous ne savons jamais où nous sommes vraiment.
4
Les lacs immobiles d’apparences... me croirez-vous si je vous dis que rien n’est ici plus agité qu’eux ? Leurs masses somnolentes renferment un volume tourbillonnant de vies !
Mais plus que des créatures, ce sont des monstres qui les peuplent et attention à ceux qui s’y approchent de trop car leurs ombres planent sous les flots attendant patiemment une nouvelle victime.
5
Depuis longtemps, longtemps, nous avons renoncé à espérer être secs : toujours la pluie et l’humidité nous gardent mouillés. Les vêtements ne servent à rien, à chaque instant nous sentons nos corps transir mais c’est pour nous une preuve inexorable de notre vie dans ce décor de mort, que nous ne rêvons pas.
6
Nous sommes nomades, mouvant avec le vent, et, nos hôtels au coucher du soleil sont les pierres froides qui de jour nous semblent distantes, mais qui le soir nous permettent de choir pour la nuit à l’abri de la pluie.
7
Dans le Nord, tout au nord, on trouve la mer...Comment est-elle chez vous ? ici, telle la terre, elle est froide. Tellement froide, qu’il n’est pas rare de distinguer des icebergs dérivés plus loin, au large.
Vers où le courrant les amène-t-il pensez-vous ? Je me plais souvent à penser qu’il les tire vers vous et des eaux plus chaudes où leur glace fondra peu à peu. Parfois je me dis qu’un jour je nagerai jusqu’à ces bateaux de glaces et que je vous rejoindrai...
8
Dans ce pays où rien ne sert de regarder en haut ou devant soi, les rencontres viennent souvent d’en bas. C’est à même le sol de ces terres pourtant arides qu’on trouve des soleils des plus inattendus et salutaires.
Entre ces pierres coupantes que nous avons appris par habitude à éviter, poussent ça et là des fleurs et, pardon de ce fait qui n’est en rien commun mais, elles parlent..., oui elles parlent et elles sont rares, précieuses et fragiles.
Lorsqu’on a la chance de tomber sur l’une d’elles on prend alors étrangement conscience que l’on n’est pas le seul à être seul et que si nous sommes plusieurs seuls alors nous ne sommes plus vraiment seuls.
La discussion avec elles n’est jamais ennuyante et quoi qu’il advienne de cette rencontre, elle ne laisse pas indifférent : très vite on s’ attache et l’on voudrait rester l’éternité pour affronter l’avenir en devenir, et vivre à l’image de leur survie dans tous ces coins anodins de ce lointain pays.
Mais il faut souvent déchanter et s’en retourner, mais sachez que je reste persuadé qu’ici, à chacun d’entre nous correspond une fleur, bien qu’il soit peu évident de la trouver et surtout, surtout, de la reconnaître...
9
Dès lors, lorsque nous nous découvrons et nous rencontrons nous-mêmes dans les alentours de ce pays, nous comprenons que nous ne sommes rien et tout à la fois et que tout est à la fois possible et impossible, car tout est déterminé par le choix de nos voies et combats modifiant vents et temps.