Un hêtre vivait dans une très sombre forêt et se désespérait de se trouver plongé dans tant d’obscurité.
Il essayait vainement de comprendre son sort, ne sachant pas qu’il n’y avait rien à comprendre.
Ainsi, il avait échafaudé toutes sortes d’explications et de brillantes théories, jusqu’à inventer des mythes, pour se consoler de sa condition et en accepter l’issue. Mais rien de tout cela ne l’éclairait ni ne lui apportait le bonheur.
“Contente-toi d’exister” lui avait conseillé son voisin frappé par le même mal.
Certes, mais exister en s’étiolant dans l’ombre, ce n’est pas une vie !
Ses rares feuilles anémiées ne cessaient de verser des larmes sur ses branches chétives et parfois le désespoir le menait au bord de l’abîme d’un “mais à quoi bon ?”.
Heureusement, il réalisait aussitôt que sa vie était son unique bien et que, puisqu’il était là, autant essayer d’améliorer son sort et essayer de trouver un peu de bonheur.
Au-delà de toutes ses élucubrations abstraites, il avait envisagé d’aller s’établir ailleurs où il pourrait voir le ciel et être réchauffé par le soleil. Mais sa terre était ici et l’être ne peut s’arracher à ses racines sans devenir étranger au monde qui l’entoure.
Alors il se résignait et survivait comme il le pouvait, attendant on ne sait quel miracle à venir. Le mirage de l’avenir qui promet tout en ayant les mains vides car c’est à chacun d’y apporter ce qu’il espère y trouver.
Un jour, en feuilletant l’alléchant catalogue du "Grand Rien" - célèbre magasin de vente par correspondance appartenant à un trio composé du père, du fils et d’un troisième mystérieux associé - il eut un coup de sève pour un néon dont l’image révélait une généreuse clarté.
La légende affirmait :"Avec lui, la lumière sera éternelle". Il trouvait que cette promesse était bien présomptueuse et il n’en demandait pas tant !
Ce qu’il souhaitait était bien plus modeste qu’une grandiose espérance au-delà de son temps. Ah ces marchands de rêves ! Il est aisé de promettre la félicité pour demain, mais aujourd’hui ?…
Malgré tout, il fallait bien qu’il tente quelque chose pour améliorer son existence car, sinon, rien ne changerait s’il ne s’aidait pas lui-même.
Il prit donc la décision de s’offrir le néon et d’en économiser faine après faine le prix exorbitant pour sa condition végétale.
Durant plusieurs dizaines d’années il s’astreignit à toutes sortes de privations - lui qui n’avait déjà pas grand chose - et d’abnégations soutenues par un fol espoir, afin de mettre de côté le prix à payer pour avoir un peu de lumière.
Enfin arriva le jour où, après des décennies de mal-être, l’hêtre exsangue put passer sa commande.
Il savait qu’il lui faudrait encore attendre avant que le « Grand Rien » ne le livre, mais l’espoir devenait plus concret.
Quelque temps plus tard, par un bel été dont il ne voyait pas le soleil, il reçut son colis. Il commença par se délecter de sa vue avec un regard brillant, tel un enfant ébloui par le papier chatoyant et les rubans de son cadeau de Noël.
Puis il ouvrit le paquet, déchirant fébrilement l’emballage, et en sortit le néon avec un air triomphal. Aussitôt il le posa sur sa cime et attendit qu’il s’allume.
Hélas, l’attente n’y changea rien et la lumière ne fut point.
Désespéré et frappé d’une totale incompréhension, en voyant passer un promeneur égaré sur un chemin qui ne menait nulle part, l’hêtre le héla et lui demanda pour quelle raison le tube demeurait éteint.
Le philosophe lui répondît doctement que le "Grand Rien" l’avait berné en lui livrant un tube de néant qui s’illumine lorsqu’il apporte la mort.
( PS : que la Sainte Axe m’absolve d’avoir inventé une élision pour le hêtre !)