Avant de lire ce livre, de le conseiller à quelqu’un ou de l’offrir, on serait tenter de rajouter à la fin de son titre un point d’interrogation.
La douce joie d’être trompée ? Véritable douce joie ou mensonge, illusion, fantasme, ravalement de douleur ?
Les mots sont là pour nous donner la chance de véhiculer les contrastes fulgurants de l’existence, qui donnent à nos vies ses reliefs. Alors pourquoi n’y aurait-il pas finalement une douce joie à être trompée ? Parce que cela fait mal, parce que cela casse nos illusions sur le couple et cette histoire à deux, que l’on voudrait éternelle, plutôt qu’interminable. Oui sans doute, cela nous heurte, cela nous trahit dans cette idée d’être l’unique irremplaçable qui a trouvé son unique éclaireur, comme deux pièces qui s’emboîteraient parfaitement, et auraient l’impression de se disloquer en perdant l’autre morceau, de ne plus exister.
Je me demande parfois d’où nous vient ce besoin de se trouver un havre auprès d’un autre, et je trouve soudain le couple bien étrange, presque absurde, et je me sens perplexe devant cette histoire qui dure, sans toujours savoir très bien ce qui la fait durer.
Dans la vie pas de règles, voilà ce que je me dis. C’est peut-être là la seule règle. J’ai aimé ce livre parce qu’il est une ode à l’invention, à la non-conformité, mais surtout pas en forme de résistance, surtout pas. Parce que résister ce n’est pas aimer. La douce joie serait plutôt à l’image d’une érosion, d’une douce usure de ce qui en nous voudrait croire à ce qui dure, voudrait croire à la solidité des relations, à leur fixité qui pourrait nous sauver d’une possible noyade dans les eaux de la solitude. Mais quand on a besoin de s’accrocher c’est qu’on est déjà naufragé.
Je vous remercie Catherine Laborde pour cette intimité offerte, ce regard plongeant dans l’effritement apparent de l’amour pour en ramener cette audacieuse légèreté, presque provocante par moments, cet amour ressuscité, comme un chant dans l’aube naissante, fragile, incertain, et pourtant si cristallin d’évidence. C’est le repos qui nous est offert dans cet abandon de la lutte, dans cette remise des armes, dans cet amour après l’amour.
A vos pieds, tendre aimé, je dépose mes armes, je renonce à la lutte, à la guerre, à la rivalité. Je renonce à vous voir comme celui à la source de mes maux, et je vous bénis de m’offrir cette occasion d’oubli de moi, cette occasion de soudain aimer pour rien, sans plus attendre en retour. J’ai arrêté les compteurs, la vanne est ouverte, l’amour circule. Il n’y a plus de monnaie d’échange, plus de calculs possibles, il n’y a que cette banale vérité : tu en aimes une autre, tu couches avec une autre, tu ris avec une autre, et comme moi, avant, tu l’aimes, tu la baises, tu la trouves belle. Non pas que je n’aie pas mal, non pas que je ne vous déteste pas toi et cette autre dont la peau sent ton odeur, non pas que je me résigne totalement, mais je constate que la vie a choisi un autre chemin que celui de notre éternité, ou tout du moins sous une forme différente de celle que j’avais prévue. La vie a cassé mon château de sable, et je ne sais pas quand je retrouverai l’envie d’en construire un nouveau. Mais j’ai moins mal que je croyais, je suis moins morte que je n’aurais pensé. Je suis même vivante, et ça me fait presque chier, de ne même pas avoir eu l’envie de te rendre coupable.
Oui c’est un drôle de chemin, pas conventionnel, pas à l’image de la normalité rassurante du couple qui dure (souvent comme pour mieux cacher l’effritement de ce qui un jour a lié (peut-être) en profondeur). C’est un chemin qui encourage à ne pas se soucier des normes, ces surfaces extérieures disposées et prêtes à l’emploi, pour ne pas penser, ne pas oser, ne pas souffrir, ne pas mourir. Pas de douce extase à celui qui ne meurt plusieurs fois, pas de douce joie à celui qui ne gratte son cœur pour en extraire l’épine de la trahison, de la brûlure, de l’abandon. Du trou laissé par le rejet de l’épine jaillira la goutte de ce nouvel amour, plus aimant que l’ancien, plus tendre, plus libre.