Je ne me souviens plus très bien qui, d’Aristote, de Buster Keaton, de Bergson ou du fabricant de la « Vache qui rit », a dit que le rire est le propre de l’homme.
Cette affirmation est une véritable énigme.
Comme si le savon était le propre des mains sales, ce qui aurait exaspéré un certain philosophe qui riait jaune quand Simone le trompait au vu et au su de toute la communauté intellectuelle parisienne.
Si au moins on nous avait parlé de douche ou de brosse à récurer. Mais non, il s’agit bien du rire.
Enfin… il y a tant d’êtres humains qui se lavent les mains de leurs cruautés gratuites que c’est sans doute le propre de l’homme d’être la plus sale des espèces.
En premier lieu, n’en déplaise au brillant esprit qui nous a affublé d’un tel propre, outre des hommes, j’ai déjà entendu des femmes rires aussi et même aux éclats.
Oui oui, je vous l’assure. Surtout lorsque, après, je leur demande modestement : « alors, c’était bien ? » Imparable.
On dit que faire rire une femme c’est la séduire. Je puis vous assurer que dans une telle situation c’est totalement faux.
Les ânes rient aussi, lèvres retroussées, alors que les nôtres les laissent de marbre.
J’ai également vu des crocodiles se fendre la gueule pour un gnou - quoique qu’avec un nom pareil il y a de quoi -, une plante carnivore s’esclaffer à dents déployées pour un moucheron séduit par son sourire, sans compter les requins dont la gueule n’est jamais sérieuse ou les hyènes qui ricanent sans cesse. Et pourtant tous ces prédateurs ne sont pas des rigolos. L’être humain encore moins. C’est son propre pas très net.
Et puis il y a la mouette rieuse, les dauphins espiègles, le singe dont l’homme imite assez mal les pitreries et très bien les sales manies, et, plus généralement, tous nos frères les animaux qui se marrent intérieurement en nous considérant comme des fous qui se prennent pour une espèce supérieure alors que nous ne sommes qu’une espèce de supercherie de l’évolution. De quoi rire aux éclats, surtout des millions de tonnes de bombes que les hommes se balancent mutuellement.
J’ai aussi vu le ciel m’offrir le sourire de clown de la lune. Les prairies également, ainsi que les douces vallées et leurs rivières qui composent des paysages riants. Les nuages aussi dessinent parfois des faces hilares.
Cependant, notre plus grande joie demeure l’amour lorsqu’il nous sourit, même si nous trouvons que, bien trop souvent et bien trop longtemps, il nous fait la tête. Enfermé sous un masque incompréhensible.
Etre capable de faire longtemps la gueule doit être un exercice bien difficile et déprimant. Par amour propre ? Quelle sale manie que de lessiver ainsi les sentiments, enfermés dans un tambour qui tourne en rond sur lui-même.
A force, ils finissent par rétrécir et plus rien ne va.
Mieux vaut encore l’amour qui fait des cochonneries que le propre, c’est quand même plus drôle. Et après on en rit, surtout si on pose la fameuse question : "Alors ... ?"
Le propre de l’homme ?… ce n’est vraiment pas sérieux.
Seul un philosophe pouvait commettre une telle ânerie. Tiens, le voilà à nouveau qui s’esclaffe et montre son clavier de piano pas très propre. Tel un grand penseur bête à manger du foin, ce que l’âne n’est pas.
Mais tant que nous saurons partager des sourires et des rires de femmes et d’enfants, d’oiseaux, de couleurs de faux jour, de poésies, de musiques joyeuses, d’émotions heureuses, notre propre sera de pouvoir en oublier nos larmes, ce que nous avons parfaitement compris sans le secours de la philosophie.