La Solitude. Le premier sentiment qu’un être humain ressent
lorsqu’il fait ses premiers pas sur le grand théâtre au metteur en scène inconnu qu’est la vie. Le sentiment le plus fédérateur qu’il puisse exister : quel meilleur moyen de forcer les gens à se rassembler qu’en leur donnant l’impression qu’ils sont désespérément seuls au monde. Et qu’ils le seront à jamais. Nombre d’explications sont souvent avancées pour tenter d’expliquer notre société. Mais ce simple sentiment suffit en réalité à en comprendre l’essence. L’homme est sans doute un animal intelligent, mais c’est bien cette faculté qui l’a rendu si faible. Car c’est celle-ci qui lui a donné la possibilité de réaliser qu’en tant qu’être pensant, il serait à jamais seul. Ce faisant, il s’est mis à rêver à un monde dans lequel cela ne
serait pas le cas. Les premiers penseurs de l’Antiquité ont cherché à mettre en évidence l’existence d’une conscience collective, idée reprise depuis dans de nombreux romans d’anticipation, mettant en scène des sociétés plus évoluées que nous, des avenirs de l’humanité dans lesquelles il serait impossible d’être seul. N’est-ce pas là l’objectif ultime de la grande fresque de l’histoire de l’humanité, si populaire, qu’est le cycle de fondation ? Réussir à faire fusionner toute l’humanité en un unique esprit omniscient dont nul ne pourrait se soustraire. C’est-à-dire faire disparaître toute idée même, tout souvenir, d’un quelconque sentiment de solitude.
Mais l’omniprésence de cette peur irrationnelle, mais instinctive de l’homme, n’est bien sûr pas présente que dans ces projections les plus lointaines de sa propre histoire. A dire vrai, dans le geste le plus anodin de la vie de tous les jours, une telle peur se retrouve. Dans le plus simple axiome qui régit l’existence de tout homme. Plus exactement, cette peur se retrouve maintenant partout. Malgré les difficultés auxquelles peut se heurter une telle recherche, il semble que cette peur ne se soit réellement mariée avec notre société qu’à partir du moment ou celle-ci est devenue principalement pensante. Si Platon a suggéré l’idée d’une conscience collective, il ne l’a fait que parce qu’il a eu le temps de s’attacher à de telles recherches. Plus encore, que son esprit se sache prêt à prendre du recul sur sa société. Lorsque l’horizon de pensées se trouve quelques instants dans le futur, comme cela était le cas sans doute pour les esclaves, artisans, ou
serfs de toute époque, le sentiment de solitude ne peut exister : la notion de vie elle-même en est réduite à son expression la plus animale, à une « simple » notion de survie. Mais depuis ces époques « pré modernes », le monde a évolué. Et malgré l’existence de multiples mouvements de contestation de tous genres, il est indiscutable que la vie a évolué à ce niveau. Le travail, s’il occupe encore une grande partie d’une vie, n’est plus le but ultime de celle-ci. Tous sont maintenant capables de voir plus loin. De voir autre chose. Tous voient autre chose. Et c’est à ce moment, où la pensée prend le pas sur l’action, que ce sentiment de solitude devient inévitable. Ainsi, il ne se passe pas un jour sans que de nouvelles façons de meubler son temps apparaissent : loisirs, produits de consommation. Tant de choses qui sont apparues en même temps qu’une société pensante. Cela permet au participant de se retrouver n’être qu’une personne comme les autres. De se sentir « commune », et donc moins seule. Nouer des contacts est un autre moyen de parvenir à cette fin, nouer le plus
de contacts possible en espérant toujours trouver quelqu’un a qui parler si besoin est. Et là encore, c’est l’évolution de notre société qui ne peut que nous conforter dans cette idée bien sûr : développement d’Internet, des Sms, etc... Se noyer dans un univers de connaissances est pour beaucoup d’habitants de notre planète, surtout si ceux-ci sont nouvellement arrivés, le seul moyen de se heurter à ce mur d’oubli. Et c’est pourquoi les phénomènes de masse sont devenus si importants. Et si dangereux.