Soir d’été finissant.
Déjà les arbres se teintent de ces couleurs si chaudes et soyeuses dont la seule vision est un habit de l’âme.
Pourtant un parfum court ici, qui fait chanceler à chaque pas. Un parfum de prison.
Nous sommes dans un zoo, l’un des plus grands de Madrid, avec ses ours qui se balancent derrière leur cage, ses lions endormis dans leur fosse, ses otaries déshydratées dont les baîllements laissent trace sur leurs longues moustaches d’une salive aussi précise qu’une horloge : l’heure du repas est proche et les animaux le sentent.
Je n’aime pas les foules, où que ce soit.
Peur de l’écrasement, de la dispersion , peur ... sans raison sans doute ? Les animaux qui me fascinent le plus , outre les pumas dont je me sens proche - en Indienne - sont les singes. Ils criaillent sur leur rocher, l’un d’eux se masturbe sans complexe en regardant un couple s’accoupler, un plus vieux fouille ses narines et contemple leur production avec étonnement avant de reprendre ses réflexions nuancées de soupirs. Celui qui semble être le plus vieux , quasiment dans la pose du penseur de Rodin larmoie dans ma direction. Je ne saurais dire si son regard est vide ou plein de quelque chose, mais ses larmes me touchent et , le temps d’un éclai, quelque chose se dit, de l’ordre de l’indicible entre nous deux. Sa tristesse est elle réelle ou est-ce moi qui projette à partir de la mienne ?
Pour me changer les idées et renouer avc les couleurs de la vie, la volière est là qui m’ouvre ses espaces bruissants et pépiants. Et là.. j’ai la surpris de ma vie. Enfin... l’une des surprises dans une vie qui n’est que surprises. Deux aras en pleine conversation, et que ma présence ne gène pas le moins du monde.
Se faire petite quand on a ce privilège d’assister aux échanges des oiseaux .
Et que disent ils, ces beaux bleutés et rouges au bec impressionnant ?
-Regarde là, celle la, derrière ses barreaux...
Tout à coup, c’est la révélation.
Pour ces animaux, c’est moi qui suis en cage.
Sur la pointe des pieds, gorge nouée et fermée d’une pince qui m’empêche presque de respirer, je quitte les lieux et m’attarde devant la cage des singes.
Vieux se lève alors, regarde autour de lui, puis lentement , claudiquant légèrement, se rapproche.
Ses doigts dont je n’aimerais pas rencontrer de trop près la puissance et aux ongles fort sales accrochent le grillage des quatre mains.
Puis, dans une langue que je ne pensais pas connaître, il me dit :
-Approche...
- Oui...
- Approche, on est voisins, je ne vais pas te faire de mal.
- Oui...
- Tu ne vas pas bien, n’est ce pas ?
- Oui..
- C’est tout ce que tu sais dire ?
-Oui.
-Faut apprendre à dire autre chose. Répète après moi : NON
-Mais..
-Pas de mais. NON !
-Oui..
-NON, j’ai pas dit oui, j’ai dit NON.
-Oui... NON.
- Bon.. Autre chose. Pourquoi ne vas tu pas bien ?
- Je ne me sens pas heureuse...
-Ah, le Bonheur. Vaste question. Tu es de celles qui ont tout pour être heureuses mais qui de fait même ont un sort peu enviable.
-Oui..
-Pas Oui. NON ! bref, tu es à toi toute seule un scandale.
-Je ne sais pas.
-Bon début. C’est difficile n’est -ce- pas, la distance par rapport à ce qui manque.
-Oui.
-NON ! ce n’est pas difficile. Tu as seulement oublié que de tous tes sens, celui de la gustation est le plus sollicité, donc celui qui s’affadit. Tu cuisines ?
- Oui.
Tu es pire que ces aras, ces perroquets d’opérette. Raconte moi la cuisine .
-J’aime faire des lasagnes maisons, de la terrine de foie gras à la confiture d’oignons et de figues, des terrines de poisson, des fondants au choc..
-Stop ! Et tu me dis cela à moi qui me satisfais d’une cacahuète les grands jours ? je ne te dis pas cela pour te blesser. Mais pour que tu relativises. Tu n’es plus présente à ce que tu vis, voilà pourquoi l’existence t’est devenue fade. Mais le monde n’a pas changé. Il est toujours aussi beau. Simplement il ne te captive plus.
-Peut-être est-ce une forme de liberté , alors, que de souffrir..
- Non, c’est une aliénation. Ce que tu crois être bonheur, c’est ce presque rien qui te manque en permanence pour en avoir la jouissance.
-Alors...`
-Alors si c’est un presque rien, il te faut un presque pas grand chose pour.. Tu as compris. Question de décision.
-Comment fais tu pour être si sage ?
- Je suis dans une cage
mais dans ma tête,
je suis libre...
Commence par dire NON. Le reste suivra.