Un premier jet attend toujours dans le tiroir de mon bureau. Qu’en ferais-je ? Sans doute y reviendrais-je… Pourquoi l’ai-je laissé inachevé ? N’était-ce qu’une question d’inspiration ? Peut-être est-il mal construit, au point que j’ai dû l’abandonner… Le reprendre me semble pourtant important. Je n’aime guère laisser des choses en suspens. Or, cela fait bien deux ans qu’il m’attend. M’attend-t-il d’ailleurs ? Ce ne sont que des mots…
Quand j’étais plus jeune, je me disais qu’il fallait être sacrément présomptueux pour être écrivain. Je me disais notamment qu’il fallait l’être pour estimer qu’on allait offrir de quoi se réjouir à une pléthore de lecteurs. Susciter le plaisir n’était-il pas un grand défi ? En somme, il s’agissait de dire « Vous allez vous régaler avec moi, le temps de lire mon livre… ». Je lisais alors des livres que je trouvais parfois déprimants, peu réjouissants, et pensais qu’il fallait oser se mettre en avant.
Aujourd’hui, je ne vois plus du tout les choses sous cet angle. Sans doute est-ce lié au fait que je lis davantage. En lisant plus, j’ai agrandi mon champ d’investigation et compris que la littérature recouvrait, fort heureusement pour nous, beaucoup plus que mes lectures antérieures. Combien de fois n’ai-je pas éclaté de rire ou pleuré, en effet, en parcourant des mots ?
Mes premiers émois de lectrice remontent à mon enfance… Comme je n’avais pas de livres, j’empruntais ceux que lisait ma mère. Il ne s’agissait donc pas d’une littérature jeunesse, comme je l’aurais souhaité alors. J’enviais « les bibliothèques rose ou verte » de mes copines. Je suis toutefois entrée de plein pied dans le monde des adultes, et comme je lisais en solitaire, personne ne pouvait venir me dire quoi que ce soit. J’étais tranquille. Je me souviens notamment du « Palanquin des larmes » qui m’avait fait découvrir la manière dont une jeune fille pouvait vivre en Chine, ou encore d’ « Un homme, une femme, un enfant » ; un roman qui m’avait fait pleurer au possible… Je devais avoir onze douze ans.
Ce qui est extraordinaire, aujourd’hui, c’est que toutes ces lectures me sont restées. Elles demeurent ancrées dans ma mémoire quand j’ai oublié certaines lues il y a près de cinq ans… Pourquoi certaines œuvres nous marquent-elles plus que d’autres ? Cela revient à la question que je me posais il y a quelques années : certains auteurs ne parviennent pas à me marquer, faute de m’intéresser – et j’ai pourtant des goûts très éclectiques -. Ne sont-ils pas alors tout simplement audacieux ? Sûrement savent-ils qu’ils toucheront tout de même un certain lectorat. Je pense notamment à « Trois jours chez ma mère », un roman qui a reçu le prix Goncourt il y a quelques années (un prix, tout de même !) et que je n’avais pas du tout aimé.
Aussi, la question est claire pour moi. Il faut de l’audace en littérature. Il faut oser. Cela ne signifie pas être présomptueux. Il s’agit juste de faire preuve de bonne foi et tenter le pari. Si cela marche, tant mieux, si cela ne touche pas, tant pis…
Mon manuscrit – au sens propre – attend toujours que je le reprenne. Je sais être dans l’impasse, l’ayant laissé depuis deux ans, mais je sais que je vais le terminer. Il me faut juste le courage de le reprendre là où je l’ai abandonné.