19 août 1936.
L’aube est à peine levée et pourtant tu traverses les rues et tes pas sur les pavés se mêlant à leurs bottes claquent comme les mains des femmes rythmant le flamenco. Tu souris et ton regard serein profite de chaque image pour emplir ta mémoire de parfums de jasmin et de lys. Sur les murs blancs des carmenes endormis, les bougainvilliers en taches rouges présagent déjà de ton destin funeste et tragique.
Derrière les jalousies, tu sens quelques présences amies et entends leurs sanglots, chuchotements à peine perceptibles et frôlements singuliers. Mais tu le sais, nul ne pourra combattre la course du temps et les desseins divins.
La route est longue jusqu’aux portes de la ville et pourtant elle t’a semblée si courte.
Déjà ce terrain vague où le ruisseau murmure d’une voix tendre et cristalline.
Déjà le poteau qui se dresse adossé aux pierres d’un mur.
Déjà tes mains qu’ils ligotent.
Déjà le foulard blanc.
Non !
Pas de foulard !
Regarder une dernière fois le ciel s’empourprer d’azur ensanglanté,
Ils se sont alignés,
Les ocres des murailles qui ceignent la ville,
Ils arment leurs fusils,
Le clocher qui scintille dans le soleil levant,
Ils te mettent en joue
Les fleurs, les arbres,
Ils sont prêts à tirer
Les gouttes de rosée,
Feu !
Plus rien !
Qui osera fermer tes yeux ?
Quelques perles de sang se déposent à tes pieds que la terre boit, assoiffée de toi. Elle t’a si souvent entendu réciter tes vers, qu’éprise de toi, elle te reprend.
Ce matin, Federico, Grenade s’éveille dans le deuil et les taureaux mugissent leur chagrin à l’heure où les gitans prennent leur guitare pour dire leur désespoir.
« Que fue en Granada el crimen
sabed -¡pobre Granada !-, en su Granada...” (Antonio Machado)
sabed -¡pobre Granada !-, en su Granada...” (Antonio Machado)