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3 flèches
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Comme chaque fois qu’un problème de taille se dressait devant elle, elle ressentit le besoin de se vider la tête. Le meilleur moyen pour cela résidait dans le parc. Un cabanon, une allée de graviers de 30 mètres terminée par une cible fixée sur un ballot de paille, un arc et 3 flèches. Il était encore très tôt ce matin là lorsqu’elle descendit à pas feutrés vers ce domaine sacré où elle exécutait régulièrement ses soucis les plus tenaces. L’aube n’avait pas encore séché les larmes de la nuit et ses chaussures de toile étaient humides lorsqu’elle ouvrit la porte du cabanon. La pièce était fraiche et l’air mariait le parfum sec du foin à la suave odeur de l’if. Elle choisit l’arc à double courbure, délaissant le longbow, et saisit trois flèches à l’empennage bleu et jaune. Elle les déposa dans le carquois à l’extérieur le temps d’enfiler son protège bras. Lorsqu’elle fixa sa dragonne et saisi sa palette, elle sourit. Déjà, l’effet magique opérait, Les problèmes qui chevauchaient encore la veille au soir au fond de son crâne perdaient en couleurs et en virulence. Elle se plaça face à la cible, saisit la première flèche et la plaça sur la corde. L’arc était chaud contre sa main, l’odeur du bois l’enivrait, elle tendit la corde. Un souffle de vent fit voler ses cheveux autour de sa tête. D’un mouvement sec elle dégagea une mèche de ses yeux puis, elle prit une profonde respiration et arma son tir. Il fallait la voir alors, belle amazone droite et fière dans le matin qui s’éveille, le coude relevé, les plumes au bord de l’œil, un sourire léger aux lèvres, le regard sûr, ses pieds semblaient ne plus devoir quitter le sol, jamais je ne vis quoi que ce soit de plus beau. Lorsque ses doigts relâchèrent la corde, elle vint frapper avec un claquement sec son avant bras couvert. La flèche, aveugle, fila vers son but emportant avec elle toute la détermination de mon archer superbe. Elle se ficha à une quinzaine de centimètres du centre. Elle fit la moue. Ce coup ne suffirait pas. Mentalement, elle fit un nouveau pari. La décision qu’elle devait prendre, elle le savait, se jouait ici. Si elle atteignait le centre, c’est qu’elle devait conserver sa ligne de conduite, elle était sur le droit chemin et les récentes perturbations qu’elle sentait finiraient par s’estomper. Si elle ne l’atteignait pas alors qu’elle s’en savait capable, c’était qu’inconsciemment elle ne souhaitait pas l’atteindre et que donc, elle devrait se rendre à l’évidence : ce qu’elle ressentait dépassait le stade de la perturbation. La deuxième flèche se planta à huit centimètres du centre. La troisième flèche placée, elle fronça le sourcil, ferma un œil respira à fond. Un oiseau chanta paresseusement dans le petit matin, le vent soupira faisant vaciller les feuilles au bout de leur branche, le soleil éclairait de plus en plus le parc. D’un coup, elle rouvrit les yeux, arc tendu, leva son arc vers le ciel et tira. Elle ne baissa le bras que plusieurs minutes après. Là debout devant le ciel rose et bleu, le carquois vide à ses pieds, l’arc à la main, elle sourit et laissa couler une larme sur sa joue. Elle avait choisi, cette dernière flèche n’atteindrait jamais sa cible.
Je n’ai jamais su où a atterri cette flèche bénie, ce trait divin qui changea ma vie bien plus que ceux de Cupidon avant lui mais je sais que grâce à lui, je connais aujourd’hui le bonheur simple de saisir chaque jour dans mes bras celle qui toucha mon cœur en plein centre et ce, sans avoir eu besoin de tirer la moindre flèche.
Nous avons tous notre technique pour résoudre nos problèmes et trancher nos choix les plus délicats. L’important est de se connaitre et de ne jamais se mentir. La solution est toujours au fond de nous, le tout est de l’accepter et de la reconnaître. User pour cela de ce que vous voudrez : une pièce, un jeu de cartes ou trois flèches…
27/11/2009