La lente agonie végétale s’éternisait.
Quelques arbres s’amputaient d’une ou deux branches pour tenter de préserver leur vie.
Un mince filet d’eau somnolait au lit sableux d’une rivière, jadis bondissante entre pierres et rochers.Sur ses rives s’amoncelaient truites et écrevisses.
Nous parcourions ce charnier quotidiennement à la recherche d’un soubressaut de vie à capturer.Notre récolte s’amenuisait au fil des jours d’horreur aride.Sur la centaine de truites transférées dans notre piscine de fortune,peu survivaient.Le monde piscicole expirait son souffle de décomposition carné à nos visages de pêcheurs,comme une gifle.
Dans le pré de poussière erraient quatre bovins que chaque soir, le fermier rentrait à l’étable pour les nourrir du foin engrangé pour l’hiver à venir. Ceux la même qu’il fallut conduire à l’abattoir quelques jours plus tard, pour préserver le reste du troupeau.
Dans les maisons, les charpentes de bois craquaient de desespoir assoifé.Nous avions encore de l’eau au robinet...non potable.
Notre païs d’ ordinaire verdoyant succombait sous la canicule comme bon nombre de personnages âgées,cet été là.
Cet été là, aucun parfum floral ne semblait vouloir honorer nos narines.Quelques rares bouffées de vent trainaient des odeurs de poussière,parfois des relents de chairs décomposées provenant de ce qui fut la rivière.
Cet été là, nous étions tous plongés dans l’attente,faisant le dos rond,résistant comme nous pouvions.Tous : animaux,végétaux,hommes...espérions une pluie salvatrice.
Une après-midi,le vent tourna.Les animaux devinrent plus nerveux,éveillant l ’attention des hommes.L’air se chargeait lentement d’humidité.Sans se concerter,quelques villageois s’arrachaient à la fraicheur de leur maison pour scruter le ciel du pas de leur porte.Au fond d’eux-mêmes, par instinct sans doute, ils savaient l’arrivée de la pluie.Leurs yeux ne décelèrent aucun nuage,la logique fit taire leur instinctif espoir.
T’en souviens-tu ? C’est à ce moment que je t’ai proposé de siroter un verre de pastis sur les marches brulantes de l’église.Nous y sommes allées,quelques mètres à parcourir.Quelques mètres qui nous font passer de la fraicheur du logis à la fournaise d’un escalier.Quelques mètres franchis,qui nous font passer,aux yeux d’autruis de personnes raisonables à celles de définitivement folles.Qu’importe,nous savions. Toutes à nos conversations,nos rires,nos silences,la descente vertigineuse du liquide anisé de la bouteille,la fonte des glaçons,nous n’avons pas remarqué que le ciel s’alourdissait.Sur les marches de l’église,au-dessus de nos têtes,une messe tentait de s’organiser.Une promesse de pluie. Une grosse goutte éclata sur l’aile de ton nez.Tes mots restèrent suspendus.Mes yeux dans les tiens nous nous sommes souris.Nous avons repris conscience du monde qui nous entourait.Sans un mot, chacune, avons constaté ses changements et décidé de nous resservir un verre.
D’autres odeurs flottaient dans l’air,des prières de végétation torturée envers un ciel altéré,altérant.
L’orage fut brutal et bref. L’eau glissait sur une terre imperméabilisée de sécheresse comme les caresses d’un homme pour une femme brulant du désir, inassouvi, d’être pénétrée par son amant.Mais il n’y eu pas fusion, juste le ciel qui caresse la terre,un peu maladroitement,un peu brutalement.
Un peu de plaisir... qui monte de la terre en parfums végétaux, tous s’y intimement mêlés qu’il est impossible d’en authentifier un.Ils ont emplis tout l’espace,criant des « merci » et des « encore » vers ce ciel qui poursuivait son chemin vers d’ autres terres assoiffées,par delà la montagne.
Ce jour là j’ai compris que les parfums pouvaient,dans certaines circonstances, devenir assourdissant.Ce qui me classe définitivement dans la catégorie des folles.
Quand tout se fut apaisé, une odeur resta en suspend,une odeur de coton , de peau et de cheveux mouillés,de ton parfum,celui que je n’aime pas et que j’ aime parce que tu le portes.
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