La fête battait son plein. Les longues robes de mousseline s’envolaient au rythme des valses et les hommes en redingote rivalisaient de charme et de distinction pour séduire leurs cavalières enchantées. Décidément les bals caritatifs que la conservatrice du musée organisait au château étaient toujours une complète réussite.
Et pourtant, Anne s’ennuyait, Yves, son cavalier, s’était décommandé à la dernière minute. Il était chirurgien et l’hôpital l’avait appelé pour une urgence. Elle soupira, son métier était bien la seule chose qui l’avait attiré chez lui, car si être sa fiancée lui avait ouvert bien des portes, il y avait quand même quelques inconvénients. Leur prochain mariage la préoccupait un peu mais comme elle avait coutume de le dire à sa meilleure amie, « on ne peut pas avoir le beurre et l’argent du beurre ». En attendant de devenir une épouse respectable, elle espérait bien s’amuser encore une peu et c’est pour cette raison qu’elle s’était rendue seule à cette invitation. Malheureusement, ses espoirs s’étaient vite éteints quand elle s’était rendue compte que presque tous les messieurs étaient en charmante compagnie et que les rares célibataires n’étaient plus consommables.
Elle reposait son énième coupe de champagne lorsqu’un inconnu entra dans le grand salon illuminé par les lustres de cristal. Il portait une chemise blanche à jabot, un pantalon noir et une rose rouge à la boutonnière de sa veste. Ses yeux sombres, son regard de velours, son teint pâle, sa prestance et cette élégance innée faisaient de lui l’homme le plus attirant de la soirée. Quand elle le vit, Anne ressentit un trouble étrange qui la ravissait alors, sortant de sa réserve naturelle, elle s’avança vers lui et se présenta. L’homme s’inclina et lui baisa la main murmurant :
Erik Vlaskov pour vous servir Madame.
Appelez-moi Anne, je vous prie, et invitez-moi à danser.
L’alcool lui tournait un peu la tête et elle se sentait prête à braver tous les interdits et puis cet homme était si séduisant, si charmant qu’elle ne pouvait résister au plaisir d’être vue à son bras.
Il sourit et d’un geste gracieux, Erik lui prit la main et l’emmena au centre de la pièce au milieu des couples qui virevoltaient depuis des heures. Il dansait divinement et leur duo ravissait tous les regards. Elle se sentait si bien entre ses bras, il émanait de lui une sensualité envoûtante qui l’intimidait au-delà de tout ce qu’elle avait connu. Comment aurait-elle pu résister à ce sourire, à cette voix ensorcelante, à ces bras si tendres qui l’enlaçaient depuis plus d’une heure ?
Conquise et rougissante, Anne proposa à Erik une promenade dans le parc. Il la suivit en silence, la nuit était belle et chaude, elle sentait sa présence fascinante à ses côtés.
Elle aurait aimé qu’il la prenne dans ses bras, qu’il l’embrasse avec fougue et ardeur, elle aurait voulu s’offrir à lui mais les effets du champagne s’étant dissipés, elle ne se sentait plus capable de faire le premier pas. Etrangement, comme s’il avait lu dans ses pensées, Erik l’étreignit et l’embrassa passionnément. Elle ne se défendit pas et son corps enflammé se soumit à ses caresses de plus en plus audacieuses, de plus en plus prometteuses. Ses mains, ses lèvres lui brûlaient la peau, elle gémissait sous l’emprise d’un désir dont elle ne se serait jamais crue capable.
Elle reprit un peu ses esprits et entre deux étreintes lui murmura :
Erik, je ne sais pas ce qui m’arrive, je ne sais même pas qui vous êtes et je ne voudrais pas que vous pensiez que je fais partie de ces femmes qui se laissent séduire par un inconnu. C’est la première fois, vous savez...
Peu importe ! Vous voulez savoir qui je suis ? Je vais vous le dire, le moment est venu. Je suis le Baron Erik Vlaskov et je suis né à Brasov en 1506.
Eh bien pour un vieillard de 500 ans, vous êtes plutôt bien conservé ! dit-elle dans un rire.
Mais Erik ne riait pas et un éclair brutal illumina son regard, le dernier baiser qu’il lui offrit arracha à Anne un cri de plaisir et de douleur... l’ultime !
Le lendemain, un jardinier découvrit son corps sous une petite tonnelle. Son cou si blanc portait deux petites marques rondes ensanglantées.