Ce matin là
Il est 6 heures :James promène Soleil avant qu’une cohorte d’autres chiens sortent de l’auberge en aboyant gaiement ; avec ses longs poils roux et son nez plat pour ne pas dire inexistant Soleil est un peu la risée du village .Je me demande parfois si James n’est pas comme le chien la risée de Bauden : un homme avec une boule de poils dans les bras ;boule de poils dont on ne perçoit même pas le bout du nez ,boule de poils que des enfants ont pris pour un koala ,d’autres parfois pour un chat ,et d’autres encore qui n’osent même pas demander ce que c’est .
Il le conduit chaque matin et chaque soir dans un espace isolé !!Seul lieu ou cette bête accepte de marcher et parfois de courir quand il n’y a personne en vue !! Dans la journée pas de soleil dans le village : il se replie dans les bras de Morphée ou dans ceux de sa maîtresse.
Ce matin pourtant ne ressemble pas à un autre matin : Soleil tourne et renifle très fort en passant devant l’auberge ; il ne suit pas sa route rituelle, il tire sur sa laisse et résiste pour ne pas avancer. Paul n’en croit pas ses yeux : Soleil s’oriente vers les poubelles municipales derrière le muret sous le marronnier de la petite place en face l‘auberge du lac .James alors laisse aller son chien pour voir jusqu’ou son audace nouvelle va le conduire ; ils traversent tous deux la route, les poubelles sont là James pense à haute voix : << les gens sont dégoûtants, ils pourraient quand même éviter de poser des sacs au sol !! >>
Soleil redouble d’énergie, il tire un peu plus fort mais James ne veut pas que son doudou précieux se frotte à des immondices : il prend Soleil dans ses bras. Le chien grogne, se débat son attitude est bizarre : Soleil toujours docile, trop docile se découvre sous un jour nouveau .James le repose au sol ; un faux mouvement, la laisse lui échappe : etSoleil au pied des poubelles gratte déjà le sol au milieu d’une flaque opaque .James n’avait pas remarqué la couverture grise d’où s’est échappé ce liquide ; la flaque est rouge et coagulée.
D’un geste brusque, rapide et maladroit, il soulève la couverture : horreur !!! Un homme inerte, la tête meurtrie ; en position foetale !
Le jour s’est levé maintenant.
C’est à ce moment-là que grince la porte de l’auberge et que sortent 3 chiens ;Soleil se recroqueville ;James se concentre sur les pattes et le ventre collants de son toutou qu’il a soulevé pour le protéger de ces 3 jeunes chiens libres et enjoués ;Simone l’hôtelière est sortie ; elle observe les gestes maladroits de James et se demande ce qu’il lui arrive ; d’habitude à cette heure , il évite de se retrouver devant chez elle : Soleil est craintif ,elle le sait :elle aime les chiens et particulièrement ceux qui lui rappellent ses chats persans :Soleil est un Pékinois de pure race et elle reconnaît sa beauté :,elle aimerait en avoir un mais elle n’aurait pas le temps de s’en occuper .
James encore sous le choc tente de décrire sa découverte à Simone ; il bafouille en regardant ses mains, ne sait pas par ou commencer ; Simone maintenant a entrevu le cadavre et écoute tremblante le récit emberlificoté de James qui se débat entre son récit et ce qui lui colle aux doigts :
Pendant ce temps James a descendu la rue qui mène au bord du lac avec Soleil dans les bras ; il a du sang sur ses doigts et son polaire est maculé ; Le chien au sol a retrouvé ses marques : il pisse au pied des arbres et comme chaque jour court de l’un à l’autre ; des feuilles et des crampons se sont agglutinés dans ses pattes, au creux de ses coussinets rougis. Quelques minutes plus tard en remontant vers le haut du village ils courent tous les deux : c’est que Soleil a peur dès que le village se réveille. James chaque matin ne résiste pas à le suivre à son rythme :
Déjà, on entend la sirène de la voiture des gendarmes.
Dans la rue du grand four les <<promeneurs du matin-tôt>> sont arrivés. Ouf, quelle épreuve !! James se débarrasse de son polaire taché et remarque qu’il a aussi des traces de sang épais sur son pantalon ; il se lave les mains maladroitement à l’eau chaude et le sang colle encore plus à ses doigts ;
Mais où est Lulu la fée du logis ? De la lumière dans les escaliers, des pas feutrés, un panier de linge propre et repassé sous le bras, elle arrive tranquillement ; James est en slip devant l’évier. En écarquillant les yeux Lulu se demande si il a eu une incontinence ; il se retourne , elle remarque le sang sur ses mains et reste muette en posant son panier sur la table .James s’embrouille en parlant du cadavre,du chien ,de Simone ,de ses mains sales ,des taches sur ses habits ,des gendarmes qui sont arrivés : il vient de les entendre et doit retourner sur le lieu du crime << il est sûr que c’est un crime>> ; il est visiblement perturbé ; il remet son pantalon de velours maculé : il se changera en revenant :il veut aller témoigner avant que les gendarmes fassent disparaître le cadavre .
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Lulu, en riant lui dit : << ce sont les criminels qui retournent sur le lieu de leur crime >> !! <<Attends un peu, change-toi >> mais non James est pressé ; il se précipite vers la porte.
Lulu met Soleil dans le creux de la vasque de son évier et fait couler l’eau froide ; le sang se dissipe peu à peu ; elle bouche la vasque, l’eau atteint le ventre chaud de son toutou ; ça y est : maintenant plus de rouge, ni de rose ; Elle peut lui faire un shampooing tiède sans risquer de fixer le sang : Mon pauvre Soleil << tu as osé aller flairer un cadavre !! Toi si racé si tendre et effacé ; fais voir ta truffe petit coquin, petit bandit .Soleil se trémousse flatté par les mots doux de Lulu ; une fois égoutté, elle l’enrobe dans une grosse serviette ; une séance de séchoir et le tour est joué : Il a droit à un petit morceau de petit Lu ; et au dodo sur son coussin douillet.
James est arrivé devant l’auberge : les fenêtres de la rue se sont ouvertes sur son passage ; des hommes débraillés sont sortis,des femmes en bigoudis,d’autres,cheveux embrouillés et en pantoufles,les bras croisés sur leurs robes de chambre mal nouées , avancent leurs têtes pour mieux percevoir les questions des gendarmes ; James n’a jamais supporté les attroupements ; son regard gêné scrute les badauds tout en répondant au capitaine .Celui-ci a remarqué les mains de James :il lui intime alors l’ordre de le suivre dans l’estafette garée à quelques mètres de là ; James est soulagé d’échapper aux curieux ; il n’a pas réalisé que ses mains et maintenant qu’il est assis ,sa braguette aussi allaient faire l’objet d’un questionnement très orienté ;
Lulu a laissé son Soleil et rejoint le rassemblement des curieux : sur le chemin elle entend << mais qui c’est ?>> L’une a cru reconnaître le pull de Raoul que lui avait tricoté sa mère ; une autre croit avoir reconnu Joseph : il a le même pull tricoté par sa sœur ;
Le cadavre est toujours à la même place mais la couverture a été rabattue sur son corps Lulu regrette de ne pas avoir assez pris au sérieux ce drame <<< Bauduen n’est pas Marseille ; tous ses habitants se connaissent et une certaine solidarité s‘est toujours manifestée : en un mot l’instinct grégaire .Des soupçons ….des histoires de famille certes , mais aussi des silences éloquents : ne rien voir ,ne rien entendre : se taire et rentrer chez soi ; surtout ne pas être mêlé à une telle histoire : n’en penser pas moins mais se taire : ambiguïté entre la présence des curieux et cette manière de se taire ensuite :ne rien avoir vu ,rentrer chez soi >>Tout cela elle le pense très fort en cherchant James au milieu de l’attroupement .
Brusquement elle est rappelée à la réalité par le hurlement de la sirène de l’estafette, un bruit de moteur, le crissement des pneus sur le gravier ; elle cherche James ; l’estafette avance lentement vers la rue Grande .Sur la banquette arrière, elle a le temps de l’apercevoir.
…………Deux ans se sont écoulés : Chaque semaine Lulu s’est rendue à la prison du Défens à Draguignan .Le procès aura lieu demain ; Paul est innocent elle le sait elle en est sûre mais le pandore qui a pris sa déposition le jour de la découverte du cadavre a mené une enquête serrée : il est sûr que Paul a réglé un compte à Raoul : les voisins de celui -ci se sont souvenu d’une forte engueulade le jour ou Malo, le chat de Raoul, avait sauté sur le dos de Soleil et arraché une énorme touffe de poils en s’en détachant. Paul aime son chien comme on aime un enfant et ce jour -là on ne l’avait jamais vu aussi furieux …..Aussi véhément ……………
Demain soir le marchand de journaux commandera 200 quotidiens au lieu des 20 habituels !!!!……………..
un peu de cadavre .Simone hurle et court vers son auberge ; elle décroche le téléphone : le 15 : …..Allo, il y a un cadavre devant chez moi !!!