Si tu n’es pas d’accord, je ne rentre pas à la maison !
Ce n’est pas une menace, c’est une affirmation. Catherine m’aime par trop pour me menacer réellement. Enfin, je le pense. En revanche, je peux être certain que malgré tout l’amour qu’elle me porte, si je ne cède pas, là, maintenant, je redécouvrirais rapidement les peines et tourments, mais sûrement plus les joies, du célibat imposé. Elle est comme cela, Catherine, ferme sur les prix. Et, à ce moment précis, je sais qu’il serait moins dangereux de prendre la température anale d’un pitbull excité que de porter la contradiction dans mon couple. Il faut que je m’exécute (dans tous les sens du terme), il faut que j’obéisse, il faut que ...
Merde ! Je devrais le savoir : on ne contrarie pas une femme allongée jambes en l’air. Jamais !
Surtout lorsqu’elle est en train d’accoucher, assistée de deux infirmières stagiaires accortes et d’une sage-femme millésimée.
Détendez-vous, Madame.
Noooooon !
L’accoucheuse me regarde d’un air mauvais.
Monsieur, ne faites pas l’enfant !
Poussez, poussez, maintenant !
Ha, ha, ha, ha, haaaaaaa ! Claude ...
Oui ma chérie !
Approche ...
Son front est en sueur, tout ridé de ces efforts intenses et nécessaires. Elle est belle, comme cela aussi.
Alors ?
Jamais elle ne lâchera l’affaire. Autant affronter la muraille de Chine en combat singulier et l’Hydre de Lerne avec une (petite) bite et la lame tire-bouchon d’un Victorinox, souffler sur la Tour Eiffel pour qu’elle s’écroule ou stradivariuriner.
Stop !
Catherine relâche son corps, se détend d’un coup, cesse de me broyer les doigts pour quelques instants. Je le sais, une nouvelle contraction viendra très vite la submerger de nouveau. De l’extérieur on ne verra qu’une montée vertigineuse de la courbe en vert sur noir du moniteur informatique. Dedans ? Un mælstrom, un ouragan, un raz-de-marée de douleurs, comme un pieu qui s’enfonce dans les reins, traverse le corps, trifouille les entrailles. Comment rester tranquille ?
Oui, comment être zen, fraîche, agréable, pimpante sous la torture, lorsqu’on est arrivé trop tard pour la péridurale à cause ...
D’accord, au moment où les signes annonciateurs de la fin d’aménorrhée se faisaient très précis, à l’instant où les eaux s’échappaient de Catherine et où, comme après la sonnerie dans toutes les bonnes usines, commençait le travail, où le rideau s’entrouvrait pour l’acte final de la conception et le début de la réalisation, je dormais. Profondément. Sommeil de juste. Coma de plomb.
Les rares survivants qui ont essayé, alors, de me faire sortir du sommeil savent combien il est compliqué de me réveiller. Il faut - peut-être ? - me frapper ou verser sur mon corps, délicatement alangui et ronflant, des cascades glacées, jouer de la cornemuse ou chanter du Sardou (mélodies impossibles et extrêmement agressives qui feraient fuir les rats même de Hamelin), à moins d’un électrochoc - Chargez à 300, bon dieu ! On le perd ! - pour y parvenir. Employer les grands moyens. Même s’ils restent aléatoires.
Court, mon somme est légendairement profond, que dis-je profond ! Abyssal.
Malgré des efforts surhumains, envahie de souffrances, déjà percluse de contactions affolantes, Catherine n’a pas réussi à me sortir des songes en moins d’une demie heure. Et une demi-heure, c’est long !
C’est fou ce que l’on peut faire en trente minutes ... L’amour (c’est ce qui s’impose en premier, même si, sans me vanter, et Catherine pourrait l’affirmer, ce temps ne suffit pas, ne me suffit pas pour épuiser tous les supplices adorables des échauffements, des prémices, des préliminaires, ...), les courses chez Champion, 180 cent mètres plats pour peu que l’on soit sprinter noir américain ou dopé, des tagliatelles carbonara (pour la bolognaise, faites fondre quelques oignons coupés finement dans du beurre à feu moyen, environ six minutes, ajoutez de la viande hachée avec un idéal de deux tiers de bœuf maigre et le reste de porc, augmentez le feu et faites dorer en cassant les « paquets » de haché pour obtenir une foultitude de tout petits morceaux (env. 2-3 mn), arrosez de vin blanc sec et laissez la viande s’imprégner des arômes (2 mn), ajoutez des tomates fraîches pelées (ou non) coupées en petits dés et une petite boîte de concentré, mélangez bien pour que la viande soit nappée de tomate (3 mn) et ajoutez un peu de vin blanc tout en mélangeant fermement jusqu’à l’obtention d’une pâte épaisse dans laquelle la viande disparaît presque, laissez prendre les arômes pendants trois ou quatre minutes et ajoutez suffisamment d’eau pour diluer cette pâte mais pas trop, laissez réduire en touillant puis, progressivement, diluez la sauce avec de l’eau pour obtenir une sauce à la bonne consistance, ni trop liquide ni trop épaisse, enfin, laissez mijoter à feu moyen pendant quarante cinq minutes au moins en surveillante l’onctuosité de la sauce, l’ensemble prenant plus d’une heure, nous sommes hors de la demi-heure requise et donc nous ferons des carbonara ...), la lecture de « la rupture tranquille pour les Nuls » de Nicolas Sarkozy ou de l’intégralité de la bibliothèque de Johnny Hallyday (« Oui Oui chez les Helvètes » et un bulletin de salaire « Optique 2000 »), avec un cerveau prompt à l’abnégation positive, le déchiffrage d’un plan de montage d’étagère Ikea ou la douleur atroce d’un débarquement de contractions délirantes et féroces qui viennent jusque dans les reins égorger nos filles et nos compagnes.
Mea culpa, maxima culpa ! Catherine souffre de mon fait et, intellectuellement, ça fait mal.
Mais...
Hé ! Ho ! C’est pas de ma faute ! Pas uniquement ! Le bébé, lui aussi, est en cause.
Quelle idée de débarquer chez des gens bien à trois heures ... de l’après-midi ?!!
Depuis toujours je travaille mieux la nuit. L’obscurité, le calme, l’étouffante sobriété du sommeil des autres, peut-être aussi les ondes qui s’échappent de leurs rêves, tout cela m’aide à écrire.
Avec Pierre-Jean Vaillard, j’assure que « la nuit ça change tout la nuit, c’est merveilleux la nuit ».
Des vêpres aux mâtines l’univers m’appartient (même si je sais que d’autres, par delà l’horizon, survivent en ne me connaissant même pas, les cons !) et je noircis des pages et des pages toutes meilleures les unes que les autres (qui en doutera ? même si je les déchire avec rage le lendemain).
Pour compenser, et parce que je ne sais pas faire autrement que de me reposer épisodiquement, je dors le jour. En temps normal, c’est à dire lorsque Catherine n’est pas enceinte, je prends mon petit-déjeuner avec elle, je la regarde se doucher, s’habiller, j’essaie de la retenir le temps d’un gros câlin, mais compagnonne du devoir, extrêmement consciencieuse, elle part travailler, inexorablement.
Dès qu’elle ferme la porte je m’évanouis tout habillé dans le canapé, le dos tordu, le cou plié, les jambes en désordre et la bave au coin des lèvres, devant un de ces mirifiques feuilletons brésilo-californiens, en trente douze mille épisodes pour ménagères post pubères et imbéciles, où Diana est amoureuse de Teddy qui la trompe avec Samantha qui n’est rien qu’un travesti roturier, ancien routier au long cours descendu de la cabine par la face nord et qui, sans le dire à cette pétasse de Samantha, a une maladie très grave qui fait qu’il va mourir bientôt dans d’atroces souffrances et en criant le nom d’une autre.
Oui, je m’évanouis ! C’est comme ça ! Inconsidérément je ferme les yeux et je les rouvre quelques temps plus tard, quand ils n’ont plus envie d’être clos. Si, usuellement, le temps écoulé entre ces deux faits est de quatre ou cinq heures, il m’arrive de prolonger indignement la durée de mes sommes. Sans aucun calcul.
Parce que je ne sais pas du tout ce qu’il se passe pendant ce temps là. Mon corps se repose, mon esprit aussi. Et, si je souscris bien volontiers aux conclusions de la science qui moult fois a démontré que l’activité cérébrale est intense durant le repos, je ne peux en être certain. Je ne me souviens pas de mes rêves, pas même d’avoir rêvé. Et si l’on me montrait un encéphalogramme plat, un trait rectiligne sur du papier quadrillé, je pourrais jurer qu’il est de moi. Cerveau indisponible, même pour Coca Cola !
Mais, depuis que Catherine attend un « heureux événement », je veille sur elle autant que je peux. Nuit et presque jour.
Je veille sur cette femme admirable qui m’a demandé de lui faire un bébé, pour commencer, le 22 octobre dernier, à 23h38.
Le serveur de l’Hippopotamus Bastille venait juste de nous apporter le dessert après une « pièce du boucher » bleue un peu décevante et des frites molles. Nous parlions d’autres choses, notamment, je crois, de la parution d’un de mes livres en polonais (de cette traduction incroyable découlait notre présence dans ce restaurant) et l’envie de croquer dans un bout de barbaque bleue et des frites que nous pouvions espérer pas trop grasses. Me coupant la parole, sa main saisissant la mienne, Catherine m’a dit :
Fais-moi un bébé... pour commencer.
Quoi ?
Il m’est difficile d’affirmer que cette demande, quoique toute neuve, m’ait surpris. En tous cas, elle était tout sauf incongrue. Je pensais bien, dans mon coin, en secret mais sans véritablement d’espoir, en pure analyse, qu’il fallait bien que notre relation, si belle, si intense, nous mène à la parenté. Il fallait bien que les milliards de spermatozoïdes que nous échangions fréquemment et avec délice - je les lui donne gentiment, elle les accepte avec volupté - aient un jour un destin plus réjouissant que celui de buter lamentablement sur un mur en latex, que de mourir en chemin empoisonnés volontaires ou plus platement mais non moins inexorablement, ne restent purement inutiles. Il fallait bien que les ovulations de ma dame, douloureuses parfois, deviennent un jour réjouissantes.
Un bébé ! Extension, prolongation, prolongement de nous. Nous qui avions déjà, et sans fausse note, construit quelques meubles suédois, décoré un appartement commun devenu NOTRE chez-nous, rencontré les familles et les amis réciproques (hélas !), adopté une gerbille folle, puis un chat et ... un chien aussi.
Sentiments, copulation fréquente, appartement, animaux domestiques ... pas à tortiller, nous étions déjà un vrai couple prêt à avoir son premier enfant !
Un bébé !
Aussi étrange que cela puisse paraître, bien que je sois généralement hostile à l’expansion démographique délirante de l’espèce humaine sur le globe, l’idée d’un enfant d’elle et de moi, ne m’a pas choqué, essentiellement parce que c’est Catherine qui me le demandait, qu’elle en avait, ainsi, gravement envie, et que de lui faire plaisir, en tous points, était - et reste - le but ultime de ma vie.
Néanmoins, et parce que je ne suis pas innocent, immédiatement des questions m’assaillirent : Est-ce qu’il est dans les gênes de la femme d’enfanter ? Est-ce que de ne pas être mère est un fardeau si lourd qu’il ne puisse s’envisager ? Est-ce que Catherine ressent le besoin - oui ! Le besoin plus que l’envie, encore - de me lier à elle, de se lier à moi, par plus que nos serments d’amour silencieux ou publiques, nos promesses, nos contrats, notre passion ? Quelles pourraient être d’autres raisons ?
Je suis certain que nous aurions pu, dès lors, en discuter, que j’aurais pu, sans peine et sans reproche, développer une argumentation contradictoire coruscante contre la patermaternité, évoquer, trémolos dans la voix, la surpopulation mondiale et ses effets appauvrissants et mortigènes, la surpopulation passionifère dans notre couple, la modification profonde de la structure de NOUS DEUX, la probabilité hasardeuse des ressources suffisantes pour nourrir trois êtres, sur l’évidence de mon incapacité à être correctement un homme complet et, découlant, de devenir un modèle, ...
Mais Catherine aurait sourit.
J’aurais pu décortiquer ma haine profonde des parents en général, s’appuyant sur la vacuité malveillante des miens comme sur la nullité bravache de ceux que nous connaissions, de l’autorité inhérente et nécessaire, de l’internement familial, ...
Mais Catherine aurait sourit.
J’aurais pu plaider la cause de ces plaisirs intenses que sont le tabac, l’alcool, la bonne chair, la reptation affriolante de nos corps libres et fiers l’un sur l’autre, l’usage de drogues diverses (des œufs de truite à l’héroïne), le Rock’n’roll, la science, la conscience, la ruine de l’âme, qui devraient nécessairement laisser la place au changement de couches, aux nuits sans sommeil régulier, au stress permanent, ...
Mais Catherine aurait sourit.
Et plus que le sourire de Catherine, je n’en avais pas envie. Peut-être que je me sentais prêt à être père, par un processus intellectuel vaguement extraterrestre qui, possiblement, prenait racine dans l’envie d’une nouvelle aventure, inconnue et vaguement affolante.
Un bébé ! A elle, à moi ! Qui ne serait ni elle ni moi, mais un peu de chaque, pour partie elle, pour partie moi, génétiquement, c’est sûr, mais aussi par élevage ... pardon ! ... éducation. Peut-être une vengeance, une réécriture, une amélioration de ma propre existence ?
Un enfant à qui je donnerai tout sans rien attendre en retour, en commençant par ce que je n’ai pas eu, consciemment, en commençant par de l’amour, de la bienveillance totale, une tendresse irréfléchie et sans intérêt.
En tous cas, lorsque Catherine me demande :
Fais-moi un bébé ... pour commencer !
Je ne suis pas contre même si je ne maîtrise pas l’ensemble des paramètres, même si je ne peux imaginer tout ce que cela implique.
Quoi ? Là ? Maintenant ?
Bien sûr !
Je n’ai bien sûr rien contre les lieux extravagants en général (j’ai même visité Monte-Carlo, une fois) et, en particulier, les lieux bizarres où faire un bébé mais ... sur la table d’un Hippotamus, place Bastille !
Autour de nous des couples s’emmerdaient ensemble en surveillant vaguement leur progéniture agitée qui coursait les jupes des serveuses armés de couteaux à steak et, au delà de la fenêtre, des passants, nombreux et bigarrés, jetaient un oeil dans la salle, se demandant s’ils n’allaient pas venir s’emmerder en couple autour d’une bavette, réfléchissant très vite que leurs enfants courseraient probablement les serveuse armés de cuillères à café, qu’ainsi ils devraient faire de l’autorité, peut-être même qu’ils pourraient se fâcher, contre les enfants, d’abord, puis entre eux, comme toujours, que tout cela deviendrait vite désagréable ... Donc, il passaient sans stopper leur quête d’aventure, qui prendrait - ah ! Suprême cadeau des dieux ! - la forme délirante et sublime d’une dégustation d’une faramineuse portion de jambon-blanc-nouilles-au-beurre ou une partouze avec les nouveaux voisins tchétchènes, ce qui gustativement parlant est idéalement réjouissant.
Catherine me trouve l’air hésitant et s’assombrit d’un coup.
Quoi ? Tu ne veux pas faire un bébé avec moi ?
Si ! Si ! Bien entendu !!! Attends, j’adore l’idée ... c’est ... Comment dire ..? Génial ! Mais ...
Quoi mais ???
Ils n’ont même pas débarrassé la table !!!
Pris d’un fou rire, nous nous sommes levés et, sans aucune discrétion, nous descendîmes aux toilettes.
Homme ou femme ?
Qu’est-ce que tu préfère ?
Les femmes, c’est souvent plus propre !
Ok !
Il y a des parents (peut-être ?) qui racontent, un jour, alors que les bambins sont devenus grands, adultes ou en bonne voie de le devenir, comment ils ont conçu ...
Tu vois, avec ta mère, nous avons cheminé sur la grande plage déserte. La lune brillait et, dans le ciel, les étoiles accompagnaient nos pas. Au loin un grand orchestre sublimait « Love Story » et j’imaginais que ce n’était que pour nous. Les vagues, sac et ressac en saccades, imprimaient un mouvement lent, perpétuel, infini ...
Et alors ?
Nous nous sommes allongés sur le sable fin comme de la poudre d’or et nous nous sommes aimés très fort ...
Ooooooh !
C’est beau ! C’est grand ! Tout y est ! Rien ne manque ! Romantisme permanenté qui décrit bien l’état d’esprit de ces deux êtres qui vont s’accoupler et perpétuer le miracle de la vie, deux être qui se préparent à changer des milliards de couches, à moucher des nez, à veiller tard, à se lever tôt, deux êtres programmés à devenir parents d’élèves encartés puis aïeuls gâteaux. Ah ! L’amour !!!
Seulement, s’il faut réellement éduquer la jeunesse et lui faire palper (si j’ose dire !) la réalité de la vie, il manque quelque chose.
Il manque l’emboîtement, cette cérémonie admirablement païenne qui coupe le souffle et donne envie de repeindre le plafond, entre autres.
Tu vois, avec ta mère, on a niqué comme des bêtes dans les chiottes d’un Hippopotamus ...
STOP !!!
Le mieux est peut-être de ne rien dire. Les enfants n’ont pas à connaître la réalité sexuelle de leurs parents. Techniquement, l’Éducation nationale se charge d’expliquer les rudiments physiques de l’affaire et, plus encore, dans une démarche empirique idéale, il faut qu’ils expérimentent, encore et encore, avec une ouverture ... d’esprit totale et une curiosité hédoniste intense et profonde.
Il est parfaitement évident que ce n’est pas à cet instant là que nous conçûmes. L’exiguïté des lieux, la fureur émotionnelle de l’acte, les positions adoptées, scabreuses et réjouissantes, intellectuellement du moins, le fait qu’immédiatement sortis de là (sans ménagement aucun par un manager furibard et la promesse d’une intervention musclée de la police des moeurs - « Mais enfin ! Il y a des enfants là haut !!! ») nous nous précipitâmes dans mon lit pour un marathon adorable qui dura plusieurs jours et me laissa bon pour un séjour à la Clinique du sport ou une thalasso à Font-Romeu, vidé, ruiné, brisé, comblé (You are the king of the divan, qu’elle me dit en passant ! Ouh ouh ouh ouh ! I am the king of the divan !), ne me permettent pas d’en jurer.
Savez-vous planter les choux, à la mode, à la mode ... Savez-vous planter les petits choux, à la mode de chez nous ? On les plante avec ...
Les mois suivants, Catherine passe par toutes les étapes décrites chez Laurence Pernoult.
Fatigue, nausées, remontées hormonales brutales, soudaines, intempérantes, mauvaises humeurs, envies diverses, boulimies successives, dégoûts intempestifs, ...
D’un coup, elle m’appelle pour faire l’amour, au beau milieu d’un chapitre.
J’abandonne mon œuvre et Mozart, et j’accours, balançant mes frusques en chemin pour être plus promptement disponible et utile - tout comme je me chausse en vitesse à deux heures du matin pour lui trouver des mangues, quitte à braver le froid, la neige, les bavures policières, les dangers innombrables d’une ville la nuit (même si c’est beau !) ou que je lui fais couler un bain, ou que je lui gratte le dos, ou que ...
Je cours, je vole, je me précipite pour la rejoindre dans les draps blancs (elle ne supporte plus aucune autre couleur).
Sprint effréné, course folle.
En prenant serré le virage du couloir, je m’éclate le coude dans le chambranle aigu. Aie ! Mais cet accident ne m’arrête pas.
Plus loin, malgré une « passe » cordobesque, je ne parviens pas à éviter le petit guéridon blanc sur lequel vit Bubulle 57 dans son aquarium globe. Mon genou est irrémédiablement meurtri et le contenu de la tablette volette de longues secondes avant de s’écraser mollement sur la moquette.
Le poisson sort de l’eau et s’agite comme un dément - bientôt il étouffera d’air, tordu dans l’agonie, sans extrême onction, sans dieu, sans maître - mais je n’ai pas le temps de le sauver.
Je boite bas mais rien ne peut m’arrêter, ni l’adversité ni les images supra, hypra, maxima libidineuses, surhumaines, que je me crée, afin de bander dignement dès l’arrivée.
Succès aléatoire, mon durcissement est honnête mais sans plus et mériterait une mention passable plus qu’un satisfecit.
Je débarque enfin dans la chambre, nu, mi-mièvre mi-mou, hirsute, blessé, hors d’âme.
Mais tout cela n’est rien.
Vite, il faut que je l’embrasse, doucement, sur toute la peau, sauf sur les seins, qui sont douloureux.
Avec ses formes pleines, Catherine est admirable, divine ! Lorsqu’elle dort, je m’assied dans le fauteuil près du lit et j’emplis son sommeil d’un même regard gourmand. Parfois le drap s’écarte et son corps apparaît comme un objet de culte aux stigmates affriolants. Alors, je prends mon Moleskine et j’emplis pages et pages de rêveries érotiques ou plus sages (rarement), dans lesquelles l’amour courtois est introduction avant l’hallali, la chevauchée fantastique, le combat des chefs, la grande bouffe, sur papier même pas glacé, la foire aux fantasmes, les plus osés, les plus odieux, les plus abrutis, les plus masculins, en somme.
Je commence par baiser le ventre et sa pleine rotondité, mais Catherine en veut plus. Rapidement !
Viens !
Alors je me penche sur elle en adoptant au mieux la position n°23 du guide « la femme enceinte n’est pas un trampoline », recueil acrobatique signé d’un docteur obscur et abscons sans aucun talent littéraire mais d’une souplesse incompréhensible pour le commun des mortels non antipodistes.
Le corps de ma femme frissonne longuement, intensément, se couvre d’une chair de poule explicite, prend un aspect granuleux adorable qui crée de petites ombres délicieuses sur son derme, du front à la pointe de ses tarses.
Connexement, je tente de l’embrasser, de prendre sa bouche telle une citadelle cathare, avec une férocité nacrée que l’on ne rencontre que rarement hors des rings de catch sauf au cœur des gynécées les plus huppées.
Brupp !
Elle me repousse.
Non ! Ce n’est pas possible !
Quoi ???
Tu pues trop ! Enfin ... Non ! Ce n’est pas que tu pues mais ... je ne supporte pas ton odeur.
Et, plus directement qu’un coup au foie fusille le boxeur émérite, elle me jette, me laisse en plan, malgré l’étonnante démonstration de mes capacités enfin érectionnelles.
Merde ! Plus souple je me la mettrais sur l’oreille (position 2792 du recueil cité plus haut).
Hormis ces passades presque douloureuses - l’amour est là, ne se dément pas et nous avons probablement tout le temps de nous refaire, sexuellement - Catherine est avec moi d’une douceur, d’une tendresse infinie. Cynique, je pourrais penser que ce n’est qu’un juste retour de tout ce que je fais, de ce que je fais pour elle, c’est à dire tout, puisqu’elle ne fait plus rien, sur prescription médicale, condamnée (hum !) à l’allongement et au repos le plus total et sans compromission, emprisonnée (hum hum !) dans la seule écoute de son corps qui croît et de la vie qu’il contient.
Parce que j’en fais des choses !!! A moi seul j’entretiens le quotidien de fond en comble, plus encore qu’à l’habitude, oeuvrant, luttant contre toutes ces ignominies domestiques auxquelles les hommes sont habituellement, culturellement et heureusement, épargnés : cuisine, vaisselle, courses alimentaires, maçonnerie lourde ou transport de centaines de packs d’eau minérale sur cinq putains d’étages sans ascenseur, tri, lavage, repassage du linge, visite des grand-mères à l’hospice, contemplation exténuée des « Feux de l’amour », lecture de Voici, ...
Parralèllement, je renonce à ces nombreux et exaltants plaisirs que sont la cocaïne, la fréquentation assidue de Chez Pierrot, l’alcool avec les potes (ou même sans eux), la trituration zygomatique de mes méninges sur les pires blagues du monde, l’exploration, uniquement visuelle, du postérieur des autres femmes, et, surtout, la nicotine.
Catherine ne supporte plus que fume en sa présence. Et comme je me dois de rester près d’elle ! Catherine ne supporte plus l’odeur du tabac, elle qui fumait, loin s’en faut, bien plus que moi, mais s’est sevrée d’un coup, sans assistance, dès le lendemain des résultats de la prise de sang.
Comme ça, à la sauvage, à la dure, à l’arrache ! Pour tout le monde !
Les premiers jours, j’ai clopé pour deux. Non pour compenser ce que Catherine ne fumait plus - et ainsi protéger notre buraliste d’une chute brutale de son chiffre d’affaire déjà malmené par l’interdiction de vente aux mineurs, la faiblesse des taxes dans des pays largement atteignables en moins de dix heures de route aller-retour et les gommes ignobles à la menthe nicotinée - mais parce qu’elle était femme, enceinte, en sevrage... Caractère bien trempé plus hormones folles plus manque ... Je vivais avec, j’aimais, un putain de pitbull enragé, dents acérés, sans muselière, volontaire au combat, prêt à mordre et tout déchiqueter, aimant cela. Le goût du sang ! L’attrait du charnier ! Wellington face à Grouchy, Paul Prédeau dans la porcherie, le petit Nicolas aux Tarterêts.
Quinze jours ! Le chemin des dames ! Un carnage ! Une ambiance célinienne de boue fangeuse et acide où j’étais, au mieux, le sac de sable d’un Cassius Clay sous EPO et, au pire, la dépouille d’un hareng mordu par des gerfauts rageurs.
Pour ma propre survie comme pour celle de mon couple, je sortais fréquemment sur le balcon m’en griller une bonne petite. S’il n’avait fait moins de 10 degrés en permanence, j’aurais pu m’y installer, attendant que chez Catherine la raison reprenne le dessus. Un carton, un duvet, quelques vivres, des cartouches, des briquets ...
J’aurais pu, aussi, profiter du courant pour me dénicotiner à mon tour, pour m’aventurer dans une vie plus saine, emplie de ballades en forêt sous les pluies acides ou en ville dans les courants monoxydocarboniques, j’aurais pu respirer nettement mieux les poussières amiantées et profiter pleinement des virus du poulet, du canard, des oies, des piafs divers, et redonner enfin une envie d’exister à mon odorat sous développé.
J’aurais pu rejoindre le camp des non-fumeurs, cédant aux affolants diktats des lobbies médicaux, de leurs laboratoires (pour qui la gomme nicotinée et le patch gluant sont des eldoradi), aux conseils larmoyants des anges hygiénistes qui nous rêvent tous centenaires, grabataires et inutiles, certes, mais tellement beaux dans nos couches anti-fuites et aux ordres des tyrans plaisirophobes pour qui le summum de jouissance est l’ascèse terrestre radicale heureusement récompensée par le paradis non artificiel, comme l’absence de déficit des comptes de la Sécurité sociale, soit le paradis fiscal.
Mais la raison l’a emporté. J’ai acheté un dentifrice puissant et des gommes à la menthe. Jamais mes quenottes n’ont été aussi propres et, malgré tout, mon haleine plus fraîche.
Vers le sixième mois, l’échographe, qui est à la science parentale ce que le cartographe est au navigateur renaissant et le sismographe des Californiens findemondistes, soit un devin aux prédictions fines mais aléatoires, propose de nous dévoiler le sexe de l’ange qu’il aurait aperçu au détour d’une image.
Je scrute, moi aussi, l’écran, essayant de savoir si je dois apprendre le foot ou la danse classique pendant qu’il en est encore temps (et, ainsi, ne pas passer pour un ignorant total des choses enfantines), mais, plus encore, pour compter le nombre de doigts, aux mains, aux pieds (ouf ! quatre fois cinq), le nombre de têtes (ouf ! une seule !), de torse, de bras, de jambes, et leurs bonnes tailles respectives. Vu la qualité de la retransmission, qui ressemble vaguement aux matches de hockey que l’on peut deviner sur les chaînes post-soviétiques ou à un film pornographique des années folles crypté par Canal Plus, je ne sais pas comment il peut s’en sortir. Globalement, si je comprends qu’apparaîtrait un tuyau si ce sera un garçon et ... rien ... si nous aurons une fille, je ne m’en sors pas.
Ne rêvez pas, Monsieur, le gros truc que vous voyez là, ce n’est pas son sexe, c’est le cordon ombilical !
Ouf !
C’est Catherine qui, impulsivement, déclare que nous préférons avoir la surprise au jour de l’accouchement. Si nous n’en avons pas parlé d’abord, cela me paraît être une bonne idée mais une idée qui pose bien des questions dont la première est : quelle couleur pour la chambre ? Rose ? Bleu ? Et les genouillères ? Roses ? Bleues ? Les draps ? Roses ? Bleus ? Les premiers jouets ? Poupée ? Voiture ? Dinette ? Char d’assaut hyper réaliste qui envoie des jets d’acide ? Et ...
Et le prénom ? Surtout le prénom !
Je le sais bien, moi qui suit affligé du blaze d’un chanteur yéyé surWolté, qu’un prénom c’est pour la vie et que se situe là une matière sensible. Globalement : prénom de merde, vie de merde !
Pensez à ces pauvres êtres qui se prénomment Adolphe, Augusto, Benito, Napoléon, César, Vladimir Ilitch, Josip, Hans, Rex ou Kevin ! Marie-Madeleine, Jesus, Paul, Pierre, Marc, Jean, Jean-Pierre, Jean-Paul, Pierre-Paul, Jean-Marc, Moïse, Abel, Caïn ou Judas ! Ephaïstos ! Philippine, Agrippine, Augusta, Liberté, Phrygie, Vendemiose, Dalida, Laurie !
Qui pourra se parfaire dans une carrière de paix internationale, genre chef de l’ONU, embarrassé du prénom de Johnny, Eddy, Ringo, Ralph, Jean-Pierre ou, pire, Nicolas ? Quelle femme sera prise au sérieux en s’appelant Pamela, Aphrodite, Marie-Ségolène ou Théresa ?
Les prénoms, outre leur sonorité propre, sont affaires de références. Ils doivent être à la mode sans être trop communs, originaux mais pas extrêmes. Ils sont significatifs des destins et espoirs que les parents placent dans le berceau immaculé du tout juste né.
Combien de mère se sont vautrées dans Kevin afin de parer leur bambin des vertus présupposées d’un acteur beau, fort et moral (selon elles) ? Combien de Louis sont enfant-roi, de Diane chasseresses, de Claude plombiers éclairagistes ? Doit-on prénommer une frêle demoiselle Monique, la destinant presque automatiquement à la pentatournante ? Deux qui la tiennent et trois qui ...
La Véronique, c’est prouvé, et pas seulement en botanique, est adapertile.
Comment composer avec cela ?
Comme je ne suis pas croyant, ma pensée refuse les noms d’ange, d’archanges, de saints, de saintes, de martyrs, de prophètes... Je fuis les blazes d’apôtres. Comme je ne suis pas ménagère de moins de cinquante ans, je n’embrasse pas les séries, les novellas, comme je n’aime pas le cinéma, je ne peux me projeter sur tel ou telle acteur/trice. Mon fils ne s’appellera pas Brad, ma fille pas Pamela, Tony, Simona, ... Je ne suis ni arabe ni sportif : Zinedine et Martina, Cassius, Mohamed, Ali, Jordan, Tiger, Greta, ... pas pour chez moi !
Je n’ai aucune référence positive. Aucun nom qui n’appelle une critique de raison pure, réaliste. Bernard partit inconsidérément en croisade, Benoît massacra l’Irlandais, Geneviève donna son corps aux Huns, Régis est un con !
Catherine, de son côté, établissait des listes, longues et précises. Lorsque nous en parlions, la dispute pointait et jamais nous n’étions plus éloignés l’un de l’autre qu’en ces terribles moments.
Rageusement, elle biffait de rouge même ses plus belles idées.
Ce matin encore ... Et puis dans la voiture ... Et au bloc ...
... si tu n’es pas d’accord, je ne rentre pas à la maison ...
Mais d’accord pour quoi ? Je ne me souviens plus, plus de rien dans cet univers asceptisé et vrombissant de médecine.
Respirez, Madame, il arrive !
Il ?
Non ! Monsieur, c’est trop tôt pour savoir !!!
Claude ?
Épongez-lui le front !
Aie !
Viens !
Mon amour !
Poooooooooooooooooooooouuuuuuuuuuuuuuuuuuussez !
Venez, Monsieur, on voit les cheveux !
Euh !
Allez ! C’est unique comme spectacle !
Claude !
Détendez-vous, Madame, voilà la tête !
Alouette !
Vous croyez que c’est le moment ?
Pardon !
Poooooooooooooooooooooouuuuuuuuuuuuuuuuuuussez !
Han ! Fuh ! Fuh ! Fuh !
C’est bien ! Continuez, je le tourne, voilà les épaules !
Fuh ! Fuh ! Fuh !
Catherine !
Voilà ! Voilà ! Ça y est !
Prestement mais sans précipitation, le corps médical entoure d’un coup femme et enfant et je ne peux rien voir.
On s’affaire, calmement, précisément, sagement autour de ma ... famille. J’entends quelques bruits de sussions qui m’inquiètent vaguement, des clics de pinces, des slashs de ciseaux, Catherine se détend, respire plus lentement. La porte s’ouvre et un grand type immaculé aux tempes grises, presque irréel sur fond de murs blancs, se fait tendre l’enfant qui, d’un coup, tousse et braille de santé (je l’apprendrai après coup), enveloppé dans un linge vert tendre.
Venez avec moi, Monsieur, on s’occupe de votre femme.
Je flotte derrière lui, comateux plus que saoul jusqu’à une pièce plus petite où un appareillage étrange attend mon nouveau né, une sorte de couche sous une lampe soleil.
Il fait très chaud.
Mon bébé est déshabillé, palpé, retourné doucement. On lui nettoie le nez. Puis les yeux qu’il ouvre alors en grand sur son monde avec son père en coin qui n’en revient pas de tant de beauté fragile et défaille dignement.
Sur invitation, j’attrape des ciseaux et je coupe où l’on me dit de couper, je caresse où l’on me dit de caresser et j’embrasse une main qu’on me propose d’embrasser.
Tout cela est purement incroyable et la peau de bébé tient toutes ses promesses. Une dame respectable baigne mon petit d’homme, le sèche, l’habille comme jamais je ne pourrais le faire et me montre comment l’attraper et comment le tenir avant de me le donner. Je retourne vers le bloc avec la précaution du salaire de la peur, à tout petits pas que j’assure chaque fois comme en grande montagne. Catherine est relâchée et, malgré une fatigue intense, nous sourit pour la première fois.
Comme un vieillard cassé, je m’assied sur le lit et plus lentement qu’une tortue hors de l’océan je lui tends notre enfant.
Alors ?
Quoi ?
C’est ...
Merde ! Avec tout ça, j’ai complètement oublié de regarder ! En plein désarroi, je me tourne vers les autres, espérant qu’ils vont rattraper mon errance. Mais les médicaux s’occupent ailleurs et rangent la pièce.
Un garçon ?
Je ... Je ne sais pas !
Une ... fille !
Euh !
AU SECOURS !!!!! Je suis en totale panique !
Merde ! Merde ! Merde !
Je n’avais qu’une seule chose à penser et j’ai zappé, complètement zappé !
Je n’avais presque qu’un seul rôle dans l’affaire, Catherine se chargeant du « travail » par ailleurs, et j’ai merdé !
Putain ! Qu’est-ce qu’il va penser, mon bébé, de moi qui ai foiré ma première obligation de père ? Et Catherine ? Et ces gens ?
Je ... je ne sais pas !
Claude !!!
Une des jeunettes s’approche.
Alors, comment on va l’appeller ... cette jolie petite fille ?
...
Claude !
Euh !
Vas-y !
Mais ...
C’est à toi de le faire !
Je me racle la gorge ...
Romane !
C’est sorti tout seul !
Les yeux de Catherine brillent, elle sourit. Ouf !
Et vous ne lui donnez pas d’autres prénoms ?
NOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOON !!!!!