CHAMPS DE CROIX
DOUAUMONT- près Verdun - 15heures.
Le mémorial consacré à la Grande Guerre se profile. Gigantesque de béton, il fait face à un champ de croix blanches – uniformes – plantées sans fin comme autant de témoignage que chacune fut un homme, toutes nationalités confondues.
A l’intérieur, mille anonymes se pressent, se déplacent dans un silence quasi-religieux. Seul fond sonore, des enregistrements de mitraille et de bombardement qui nous figent dès l’entrée. D’immenses plaques de marbre occupent les murs d’une grande salle pareille au cœur d’une cathédrale. Des noms par milliers sont gravés à même le marbre gris – autant de soldats fauchés par la 1re. Guerre mondiale. Plus loin, les murs sont creusés de vitrines où sont exposés des textes et une multitude d’objets. Là, une pipe sculptée côtoie un briquet fait dans le corps d’une cartouche qui représente une grappe de raisins. Le soldat était-il vigneron ? Ces objets gravés en côtoient des centaines d’autres comme autant de témoignages que tous furent des hommes, avec tout ce qui les caractérisait, cette dose de créativité, artistes jetés dans les tranchées. Ils ont voulu témoigner des parts d’humanité, d’espoir qui les animaient encore et toujours, même au plus fort de la tourmente. Et puis, enfermés comme des reliques, des textes, des écrits par dizaines. Moments de vie volés à la mitraille ou récits de vécus, après que certains – si peu – s’en étaient sortis.
Tout dans le mémorial rappelle que la guerre engendre avant tout une souffrance physique. Là, au centre du bâtiment, a été reconstitué une tranchée défoncée, haute de quatre à cinq mètres, encombrée de fils barbelés, de ferrailles de toutes sortes, avec des soldats mannequins renversés, tête en bas, bouche ouverte, visage déformé de rictus rappelant l’agonie de l’asphyxie par les gaz mortels. Et au-delà, la souffrance morale, besoin de se raccrocher au plus petit détail, écrire, sculpter pour éviter que la part d’humain s’en aille. Et finalement des villages entiers ont été rasés, perdus à jamais. -Souffrances des populations – destructions des biens – des édifices – des familles – des peuples.
Un tel mémorial d’où l’on sort à pas lents, presque gêné d’être là, abasourdi par la violence des images, des sons, par tout ce que ces innombrables ont vécu, un tel mémorial est un témoignage du passé récent de ce que les hommes sont capables de faire à d’autres hommes.
Pourtant, un tel édifice où le devoir de mémoire est le but, a t’il permis d’éviter que d’autres guerres soient déclenchées, subies ? Que des souffrances physiques et morales soient évitées ? Non – Après que furent reconstruits villages et villes, après que les populations se furent renouvelées, la seconde guerre mondiale s’est encore davantage acharnée à détruire l’homme, ses espoirs, son devenir. Puis la guerre d’Algérie comme un maintien de l’ordre français, celle d’Indochine, celle du Vietnam, celle des Six jours, celle des Balkans, celles du Golfe…
Combien de mémoriaux, combien de milliers de croix anonymes plantées à perte de vue, combien de millions d’âmes, de noms gravés sur du marbre sombre, combien de villes faudra t’il reconstruire avant que d’admettre les ravages physiques, moraux, humains, géologiques, planétaires que causent les guerres ?
L’homme est-il ainsi fait qu’il ne puisse construire que pour mieux détruire ?
L’homme est-il ainsi fait qu’il lui faille toujours un champ de croix à contempler ?
Noël F.