Lundi 9 heures, alors que je franchis la porte du lycée et m’apprête à présenter mes vœux à la charmante dame, maîtresse des clés, qui garde jalousement les passes qui nous autorise à entrer dans la cage aux fauves, une voix qui ne m’est pas inconnue m’interpelle :
Madame ! Madame ! Ben vous êtes là ? Mais pardon d’abord bonne année et bonjour.
Bonjour et bonne année à toi Jessica !
Alors vous êtes là ?
Non ! Non, je ne suis pas là, je ne suis en fait qu’une image holographique mais surtout je compte sur ta discrétion, ne le dis à personne.
Non mais Madame, sans rire, vous êtes vraiment là ?
A ton avis, si je te réponds, c’est que je suis là. Non ?
Et vous faites cours ?
Eh bien puisque je suis là, je vais en profiter !
Ben en fait, je vous demande ça parce qu’à la vie scolaire vous êtes notée absente aujourd’hui.
Comment ça ?
Ben oui, sur le tableau des absences pour le 8, il y a votre nom. Alors vous comprenez, comme on n’avait pas cours avant, les autres sont partis. Il y en a même qui doivent être redescendus.
« Être redescendu » dans la langage Coubertinien signifie qu’ils sont ou sur le parking, à six ou sept dans une voiture à faire brailler du rap ou à traîner du côté de la gare et là je me garderai bien d’émettre des hypothèses quant à leurs activités.
Je regarde l’heure, il me reste une demi-heure et demande à Jessica d’essayer de rassembler le maximum de ses camarades disséminés un peu partout dans la cour, la salle de permanence et sur le parvis (je me dis que sur 35, j’arriverai bien à en avoir une vingtaine !) pendant que je vais régler le problème à la vie scolaire, sinon je m’expose à avoir cours en pointillés toute la journée ou que ma salle de classe se transforme en moulin.
Mais en poussant la porte du fameux bureau, j’ignorais encore que j’allais vivre le pire moment de la journée. Je m’approche du comptoir derrière lequel une surveillante est occupée à remplir un bulletin de retenue.
Bonjour, excusez-moi de vous déranger mais il semblerait qu’il y ait une petite erreur sur le tableau d’affichage des professeurs absents.
Bonjour. C’est quoi le problème ? me demande t’elle d’un air surpris.
Il semblerait que je sois notée absente pour la journée.
Ah bon, c’est quoi votre nom que je vérifie !
Lemaire.
Lemaire, Lemaire... ah oui, ça y est ! Oui, en effet vous êtes absente !
Ben non, je ne suis pas absente puisque je suis devant vous.
Si si vous êtes absente, vous avez téléphoné ce matin pour dire que vous étiez malade et que vous ne pourriez pas venir travailler.
Ce n’est pas moi, je ne vous ai pas téléphoné, vous avez du vous tromper de nom.
Ah non impossible ! Je ne suis pas trompée de nom. Vous êtes absente.
Je crois avoir fait déjà preuve d’une grande et immense patience mais là je sens que je vais craquer, alors avant, je tente une nouvelle fois une explication.
Bon écoutez, je pense que quelqu’un vous a téléphoné ce matin et que vous avez mal compris son nom. Mais, ce n’est pas moi, regardez-moi, vous voyez bien que je suis là ! Alors vous allez prendre un stylo et aller barrer mon nom sur ce fichu tableau.
Ah non, je ne peux pas faire ça !
Et pourquoi ?
Parce que le CPE n’est pas là et qu’il faut que je sois certaine que j’ai le droit de barrer un nom sur la feuille parce que vous comprenez si vous n’êtes pas là et que les élèves ne sont pas prévenus, on va saturer la salle de permanence et je vais avoir des problèmes.
Les bras m’en tombent, je suis à bout d’arguments et je préfère me taire car je ne réponds plus de mes paroles. Je sors un stylo de mon cartable et vais barrer moi-même mon nom sur le tableau.
Elle me regarde outrée et s’apprête à ouvrir la bouche... Mais là je la devance, avant qu’un drame ne se produise et je lui dis :
Si vous vous approchez de ce tableau et que vous tentez de réécrire mon nom, je crois que je vous casse la figure.
Depuis, lorsque je la croise dans les couloirs je ne sais pas pourquoi, elle m’évite !