Cette nuit, c’est décidé, je veille.
Il se passe de drôles de choses ici. En prenant l’ascenseur, je me suis rendue compte qu’il n’y avait pas de rez-de-chaussée. Y aurait-il un étage caché ? Une amie m’a mis la puce à l’oreille en me disant que tout ce sang qu’ils m’avaient prélevé devait certainement alimenter une bande de vampires. L’idée d’une balade sous la lune avec un prince de la nuit n’est pas pour me déplaire et puis vue la moyenne d’âge du service j’ai toutes mes chances.
A 21 h, première phase d’extinction des feux : tous ceux qui portent un sonotone, c’est à dire la majorité de la population, avalent une petite pilule blanche et ferment les yeux sans vraiment savoir s’ils les rouvriront dans quelques heures.
Je regarde vaguement un film à la télé, allongée sur le lit dans le noir et j’attends, je guette chaque bruit qui pourrait être suspect. La tension est palpable, un je ne sais quoi là au creux de la gorge me dit que cette nuit ne sera pas aussi paisible qu’il semblerait.
23 h : L’équipe de nuit fait sa dernière ronde. L’infirmier me change ma perfusion, me demande si j’ai besoin de quelque chose et me souhaite une bonne nuit.
Extinction totale des feux.
Tous mes sens sont en éveil. J’entends un pas feutré dans le couloir, le cœur battant à tout rompre je vois un lutin entrer dans la chambre. Je me redresse brutalement et il s’enfuit à toutes jambes. Quelques secondes plus tard, je sens de nouveau sa présence, je dégage tout doucement mon bras valide de dessous les draps et tâtonne pour trouver la cordelette de l’éclairage de nuit et éclaire brusquement la chambre. Le lutin se fige, découvert, 1 m 30 au maximum, 80 ans, tout ridé, tout voûté, il balbutie quelques grognements et sort. Je l’entends entrer dans la pièce voisine où vraisemblablement il allume et là, ô drame il vient de réveiller les deux harpies. Deux espèces de vieilles démentes qui sans trucage ni maquillage pourraient tourner dans le remake de la Nuit des morts vivants et sur lesquelles je reviendrai dans quelques instants. Je vois le schtroumf perdu passer de nouveau à toute vitesse dans le couloir poursuivi par les cris des deux hallucinées. C’est à ce moment que j’entends une grosse voix masculine s’exclamer : « ben qu’est ce que tu fais là mon gars. T’es perdu ? Allez suis moi j’vais t’aider...allez marche ».
C’est d’un œil amusé que je guette le passage dans le couloir du vieux nain de jardin suivant celui dont j’ai reconnu la voix, l’un des seuls valides de l’hôpital, une espèce de bûcheron canadien, l’antithèse totale du petit vieux noctambule. Je ne suis pas déçue, en tête l’homme des bois, cheveux longs, bâti comme une armoire à glace et trottinant derrière lui, le schtroumf en pyjama rouge qui se presse derrière son sauveur.
Bruits de voix, quelques rires feutrés, la lumière du couloir se met en veille et le silence reprend ses droits. Pas pour longtemps, car les deux folles de la chambre voisine n’arrivent plus à se rendormir. L’une d’elle arrache sa perfusion, réussit à se lever malgré la ceinture qui est sensée la clouer au lit et décide d’aller à la poste chercher son chéquier en chemise de nuit avec le sac à main sous le bras et là la grande java commence, l’autre 91 ans en long tee-shirt d’une couleur indéfinissable décide de la suivre, elle traîne derrière elle sa perf et avance en criant et ahanant...Elle a tout du zombie, le teint gris, les yeux creux et de longs cheveux raides et sans vie. Je sonne pour que les infirmiers les recouchent mais ces dames ne sont pas d’accord, elles ne s’épuiseront pas avant 4h du matin, c’est à dire une heure avant l’arrivée de l’équipe de jour.
Pas de vampire à l’horizon mais nuit blanche quand même, si tout à l’heure le médecin me dit que j’ai mauvaise mine et les traits fatigués...je le mords.... !