J’ai quelquefois du mal à tracer ses pensées rapides, acides, tristes ou descriptives comme en ce moment.
Mais que fait-il ?
Aïe, une nouvelle rature !!! Et me voici obligée de labourer d’un long trait noir ce mot que la postérité ne connaîtra jamais.(sic)
Que désire t-il ?
« Dressant son histoire à la conquête des cieux » plutôt qu’à « la rencontre des cieux » ? C’est vrai, ça sonne mieux ! Une rencontre peut être fortuite. Tenez, l’autre jour, j’ai rencontré mon collègue de chez Bagnols et Fargeon, et bien il faisait grise mine ; ce goujat est même resté de bois en m’effleurant au fond de la poche de mon maître. Mais il s’est vite taillé, de toutes façons, il n’aurait pas fait long feu !
Oulàlà !!! Je m’égare !
Je disais donc qu’une rencontre peut être fortuite, éphémère, tandis qu’une conquête est le fruit d’une stratégie, ou, appliquée à la Cathédrale que décrit mon maître, cette conquête est un symbole.
Donc « Dressant son histoire à la conquête des cieux » Je continue ma visite guidée.
J’ai ainsi l’habitude de son impétueux tempérament fait d’explosions de joies ou de colères, de profondes afflictions ou bien encore de tendres contemplations.
Suprême privilège, pour rien au monde je ne voudrais être écartée de ses intimes secrets.
Je suis la complice de ses colères, de ses besoins, de ses voyages imaginaires, peut-être de ses phantasmes…
Ouf, ça va mieux !
Le rythme se stabilise ; je reprends mon souffle et le fil de mes lignes après cette digression que je vous demande de bien vouloir pardonner !
J’aime le travail bien fait et m’efforce de toujours le satisfaire ; de styliser comme il aime, les pleins et les déliés. Mon sang s’écoule maintenant, douce hémorragie, et recouvre tout cet espace blanc. Tout n’est plus alors que signes, tandis que je franchis, moi aussi, les « portails du Nord et du Midi ».
Un nouvel espace à noircir d’un long rythme ondulant m’est présenté. Quelle fierté !
J’essaie de suivre la pensée extasiée de mon maître. Je ponctue d’un gigantesque point final tandis qu’il salue la Cathédrale de Chartres.
Mais qu’arrive t-il ?
Je décolle !!!
Le contact éphémère avec mon espace blanc désormais sublimé est rompu. J’aurais tant voulu rester encore un peu…
Je comprends et me retrouve dans le noir. Mon corps tourne sur lui-même et n’en finit pas de me rapprocher de l’obscurité totale où je reconnais cette odeur âcre d’encre séchée au fond de mon linceul. Puis je perçois de sourds cognements, réguliers et rassurants. Je les connais bien : ils sont ma berceuse quotidienne.
Je m’endors maintenant contre la poitrine de mon maître, heureuse, sereine car je sais que bientôt, je parcourai à nouveau l’espace brûlant de son imagination. Il m’aura invitée à vivre un autre fabuleux voyage.
Alors, je lui donnerai tout mon sang pour noircir des pages blanches, sous la dictée de sa matière grise.
Et je serai docile, complice, même aimante, tour à tour forte ou bien fluette car je suis la plume d’un poète…
Marseille, le 05 janvier 1991.