C’était à contrecœur que Camille s’était rendue à l’inauguration de cette galerie de peinture, entraînée par son amie Julie qui avait plus qu’insisté pour qu’elle l’accompagne.
Encore une de ces soirées guindées où, ne connaissant personne, elle allait s’ennuyer et se bourrer de petits fours en écoutant distraitement les commentaires faussement profonds des uns et les éloges hypocrites des autres. Sans compter ceux qui font semblant d’être des connaisseurs ou de comprendre ce que tel ou tel artiste a voulu exprimer. Le plus drôle, c’est lorsqu’il n’y a rien à expliquer mais juste à ressentir. Ce qui se passe alors de tout verbiage.
Au dernier moment elle avait bien failli ne pas s’y rendre lorsque, après avoir passé différentes tenues, elle s’était dit à voix haute :
« C’est nul ; je n’ai rien à me mettre ; ça c’est ringard ; cette robe est trop décolletée ; avec mes deux kilos en trop ce pantalon me boudine ; avec ça je vais avoir l’air d’aller à la messe ; ceci est trop provocant … » Pour finir par se dire : « Allez hop ! je n’y vais pas et d’ailleurs maintenant c’est trop tard, plus le temps de me maquiller ni d’essayer de faire quelque chose de ces cheveux de folle … »
Quand une femme n’est pas motivée, ce ne sont pas les prétextes qui lui manquent !
C’était sans compter sur Julie qui, sachant Camille peu décidée, l’avait appelé pour lui demander si elle était prête.
Dans ces cas-là, seule une femme sait trouver les bons arguments pour en convaincre une autre.
« Ca ne sert à rien de rester seule dans ton coin » … « Ce n’est pas comme ça que tu vas faire des connaissances » … « Allez, tu ne vas pas laisser tomber ta meilleure amie » etc.
Bien sûr, elles étaient arrivées en retard mais, la galerie étant comble, personne ne les avait remarquées. Pourtant, avec son jean de velours noir chatoyant, son chemisier aux couleurs vaporeuses et son épaisse chevelure brune, son charme ne pouvait passer inaperçu.
Julie lui présenta quelques personnes. Un couple très snob ne tarissant pas d’éloges banales sur le vernissage, puis un grand escogriffe à lunettes épaisses qui avait l’air d’être tombé de son armoire et lui dit distraitement : « Vous êtes ravissante » immédiatement suivi d’un « Excusez-moi » pour tourner les talons et fondre littéralement sur une femme qu’il devait connaître. Un goujat de plus.
Elle fit aussi la connaissance d’un peintre qui exposait et lui parut plutôt en vrac. D’autres encore qui lui adressèrent la parole sans susciter la moindre attention de sa part.
C’est bien ce qu’elle redoutait. Elle se sentait égarée et allait s’ennuyer à mourir.
Camille se rabattit donc sur le champagne et, pour se donner une contenance, elle fit semblant de s’intéresser aux tableaux exposés. Non pas qu’elle n’aimait pas la peinture, mais dans un tel contexte et avec ses a-priori sur cette soirée…
Elle était en train de vider une énième coupe lorsqu’elle le vit parmi tous les autres, tel un astre unique au milieu de la voie lactée. Irrésistiblement attirée, elle s’en rapprocha et se plaça près de lui, le regardant intensément avec un imperceptible sourire voilé.
Elle n’osait prononcer le moindre mot de peur de rompre le charme.
Ce qu’il exprimait l’enveloppait d’une étrange chaleur et elle le percevait en des émotions qui enveloppaient son cœur.
Son charme, sa présence l’avaient totalement séduite en quelques instants.
Autour d’eux les autres invités parlaient un peu fort en commentant le vernissage. Mais le brouhaha des conversations ne l’atteignait pas : elle était seule sur son île, face au prodige du soleil de sa vie qui émergeait devant elle.
« Et dire que j’ai failli ne pas venir » se dit-elle.
Il fallait absolument qu’elle lui dise quelque chose de peur de lui paraître insipide, mais elle était trop émue. Avec tout ce monde qui les entourait, elle préférait se taire tout en sachant qu’il avait remarqué sa présence et, surtout, son regard.
Certaines émotions n’ont pas besoin de s’exprimer avec outrance et encore moins de se masquer derrière un banal bavardage de bon ton.
Maintenant qu’elle l’avait trouvé, elle pouvait attendre le moment propice pour lier connaissance.
Celui qu’elle avait tant souhaité et que le hasard avait mis ce soir là sur son chemin lui semblait venir d’ailleurs.
Après tant d’errances, de faux espoirs et de solitude, enfin il était là.
Un importun coup de coude la fit sursauter et elle entendit la voix familière de Julie lui dire : « Hé Camille, tu dors debout ou quoi ? Et cesse de boire du champagne. Tu sais que tu ne le supportes pas et tu vas encore délirer. »
Camille se demanda alors depuis combien de temps son imagination la faisait fantasmer tandis qu’elle fixait le tableau très quelconque d’un lever de soleil dans une île des Caraïbes.