Des mains habiles m’ont façonné, pétri et mis à cuire. Je me suis senti gonfler, étiré, transformé. Quel délice que de prendre forme et de ressembler à un désir savoureux.
Maintenant, je suis là, tout chaud, tapis au fond d’une corbeille recouverte d’un tissu damassé très doux. Je suis serré contre d’autres comme moi, à la croute aussi croustillante et dorée, au cœur moelleux et tendre.
Délicatement déposé et objet d’attentions, car je suis indispensable. Sans moi, ce moment de détente et de délices ne serait pas complet et cela depuis la nuit des temps.
Mais, là, en cet instant précis, je me sens au milieu de nulle part. Le contact froid de la faïence sur laquelle une pince m’a déposé, me procure des frissons et par de légers craquements, je signifie mon mécontentement. Mais qui s’en préoccupe ?
J’observe les alentours. De nombreuses pièces de vaisselle m’entourent selon un ordre symétrique et harmonieux. Entre elles, des mains dansent un mystérieux ballet dont le couteau et la fourchette sont les danseurs d’un tango aux multiples variantes. Musique saccadée quand la lame découpe, tranche, sépare, pousse sur les rails de métal argenté le délicat morceau de merlan, puis, valse lente et gustative des mâchoires qui dégustent et apprécient ce met délicat.
Je commence à apprécier cette solitude et ce calme, quand, soudain, des doigts me saisissent, me donnent à d’autres doigts et ensemble se mettent à m’appuyer dessus. Je sens ma fin venir pour apaiser une faim. Peut-être aurais-je même le droit de me baigner dans cette sauce au fumet de citron et à la douceur d’une crème avant de rejoindre ce merlan …
Des miettes sur la nappe … seul vestige de mon existence … si courte … mais, si désirée…
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