Pourquoi ?
Pourquoi aujourd’hui seulement vous parler de ces temps si lointains
que...
A force de serrer les mâchoires pour empêcher les paroles de s’envoler, j’en ai perdu mes dents.
Alors, ce jour, mes vies antérieures se pressent dans ma bouche et de leurs doigts affamés de dire violent mes lèvres, modèlent ma langue, soulèvent le palais, écartent les joues, pulsent ce souffle qui portera leurs mots.
Damballah Weddo
Ligne vivante
Abstraction faite chair
Raconte !
Raconte l’ odeur âcre et iodée comme ces traces d’ amour coulant de mon creux d’ombre, l’ odeur noire de la nuit et du désir, douce comme la robe d’un cheval en fuite qui déchire le vent, ronde comme mon sein, lumineuse comme le lait qui giclait de son ventre tendu et que buvait
le mien.
Raconte la danse bleue de nos pas sur le sable, le parfum de la mer sur nos bouches mêlées, les nattes de nos langues et ma première noyade.
Je rencontrai un dieu tout aux bords gémissants d’ une source.
La douceur de ses mains
de ses mains
de ses mains
La douceur de ses mains empaumant mes rondeurs, agenouillant ma nuque, ondulant mes frissons, creusant la robe des nymphes.
Et au cœur du triangle, de son triangle noir, au centre de sa peau parfumée et brillante
Une ligne vivante
Abstraction faite chair.
Je vous parle d’ un monde où parfums et couleurs étaient sans différence.
En ce temps-là, j’’étais femme.
Une nuit, mon ventre sphère noire a couru dans la mer. Plein d’une vie future il s’ y est déchiré. Savez-vous l’ éblouissant parfum du rouge qui rompt les eaux du noir, s’ étale sur les vagues et hurle sa victoire ?
Damballah Weddo
Raconte
Ma sphère a déroulé sa forme et je suis devenue serpente
Ligne vivante
Abstraction faite chair.
De mes neuf spires j’ai entouré les flots, ai rentré la dixième dans un trou de la terre, puis me suis enfoncée, lentement, lentement, là où gémissent les graines impatientes de germer, là ou se prépare le vert aux parfums si puissants et si neufs.
Odeur verte, brunie de moisissure, remontant des sous-bois, prémisses de la mort et de la renaissance
Parfum délicat du vert tendre sous la peau du bourgeon
Entrelacs de senteurs dans les prés au printemps
Quand s’aiment le soleil et le frais coquelicot
Puanteur limoneuse du vert putréfaction.
Odeur de sainteté sur les robes des purs
Odeur mêlée d’ amour quand Osiris la rouge ouvrait les infernales portes
Parfum de la nature qui ne veut s’enfermer
Dans le froid éternel
Et cherche à faire vibrer
Un éternel été.
Parfum teinte paisible
Qui n’attend rien mais donne
Equilibre parfait
Entre deux absolus.
Celui du Bleu exact dont le grand vide effraie
Celui du Rouge-flamme dont l’éclat hypnotise
Parfum du Vert
Esotérique.
Au bord de la rivière Iraty, où je suis
tant de fois
tant de fois
venue méditer dans mes vies antérieures de femme, de serpente, de feuille, de puma ou.. que sais-je,
tant de voix
tant de voix,
j’ écoute le parfum frais des eaux tendues de tous leurs sens vers d’’autres bouillonnements. Celui vert et bruissant des Hêtres et des pins raidis comme des poings levés jusques au ciel. Celui si juvénile de l’ herbe après l’ ondée et les odeurs de terre mouillée qui rappellent l’enfance, les tornades africaines. J’ entends le courroux
brun et gris des pierres roulées par la rivière et leur parfum tranchant. Il réclame la nuit qui cachera leur honte d’ avoir été brisées.
Damballah Weddo, dis leur qu’ il était vrai, ce temps où les parfums,
les sons et les couleurs étaient
Une
Ligne vivante
Abstraction faite chair.