Chaque jour, je sais le retrouver dans le square en face de la gare et, chaque jour, il se lève pour me saluer mimant une révérence, avec élégance je dois dire ! Lorsqu’il ôte son chapeau, un sourire se dessine sur ses lèvres. Ah son chapeau, comme je l’aime. Un chapeau en feutre noir à large bord, un peu comme le chapeau auvergnat. Il faut voir les Auvergnats avec quelle fierté ils le portent. J’aurais dû en acheter un avant de quitter l’Auvergne ! Je voulais et puis…
Il rit comme un enfant ; je le trouve attendrissant. Un jour, je lui dirai combien il m’est précieux ! Je ne lui ai jamais adressé la parole, juste rendu son sourire. Je n’ose pas, pas encore. Quel âge peut-il avoir ? D’où vient-il ? Que de questions je me pose ! Je pense qu’il est espagnol. A-t-il fui son pays, comme beaucoup d’autres, pendant la période noire ? Il a plus que vingt ans : sur son visage émacié, des rides prononcées de souffrance plus que d’âge certainement. Comme j’ai envie de savoir ! Un jour, je lui demanderai, oui, j’ai envie de savoir, envie de le connaître ! Demain, peut-être !
Des gens pressés traversent le square, certains tournent le regard, d’autres le détournent. Certains encore ralentissent le pas pour le regarder du coin de l’œil tandis que d’autres l’accélèrent ! Pourquoi tant d’indifférence ? Il n’est pas impeccablement vêtu et sous ses ongles, la crasse s’est installée, ses mains sont gonflées et il tremble un peu. Il n’est pas comme eux ! Et alors ? Le fait d’être différent en fait-il un sous-homme ? N’a-t-il pas droit à la vie ? Que croient-ils ? Qu’il n’envie pas leur sort, leur confort et leur petite vie bien rangée ?
Aujourd’hui, c’est décidé. Je lui parle.
Alors que j’ouvre la porte d’entrée, j’entends à la radio le journaliste annoncer que la vague de froid a tué…. Des gouttes de sueur perlent à mon front, je frissonne… Je dévale quatre à quatre les escaliers, la peur au ventre et je rejoins le square.
Je ne saurai jamais.
Novembre 2005