Il regarda l’horizon doré.
Le soleil n’allait pas tarder à se coucher sur son désert. Et il savait, pour les avoir entendus, que des coyotes rodaient plus bas, à l’affût d’une proie.
Son désert…
Reliefs torturés, acérés, sculptés par le vent et par le temps, plaines de poussière et de roches brûlantes… Sans eau, la vie semblait ne pas pouvoir y prendre racine et pourtant… à qui savait où regarder, elle se dévoilait pleine de force et combative, à l’image de son peuple.
Avec la patience de la Lune, ce désert les avait, à sa manière, façonné au fil des saisons, lui, les siens et toutes les générations qui les avaient précédés… Il en était un Fils, fier mais prudent et n’oubliait jamais d’honorer ses ancêtres et leur profonde sagesse. Ils l’accompagnaient dans les moindres gestes du quotidien et dans sa tête résonnaient continuellement les chants traditionnels de sa tribu. Les chants de Vie, de Célébration… et de Mort.
Succombant à l’envie qui le tenaillait du fond de ses entrailles, il se mit d’abord à fredonner, puis chanta plus fort comme il avait appris à le faire depuis sa plus tendre enfance. Il appela tous les Esprits de la Nature autour de lui à venir le rejoindre pour partager cet instant d’Eternité… Et tandis qu’il éclatait de rire, la Vallée répondit, faisant écho à ces étincelles de vie qui s’échapper de lui.
Ici, au sommet de cette crête, il était en paix avec le Monde, il était en paix avec lui-même.
Ce matin au réveil, il avait prononcé les mots rituels : "Ya’aa’tey !", comme tant d’autres avant lui, son père l’avait alors regardé avec fierté. Après avoir serré sa jeune épouse contre lui et embrassé le front de son premier né, il était parti à la chasse, un sentiment étrange ancré au plus profond de son être. Ni peur, ni regret… Juste la certitude que quelque chose d’important allait se passer et que quoi qu’il advienne, cela serait parfait.
Il ne s’était pas trompé.
Au cours de la journée, il avait surpris des hommes blancs sur le Sol Sacré. Ceux-ci l’avaient souillé, profané en quête de ces froides pierres jaunes qui n’ont pour seule qualité que de briller au soleil…
Seulement armé d’une lance et de son coutelas et profitant de l’effet de surprise, il les avait alors affrontés, la rage au cœur. Une belle bataille… Un bel échange aussi… En plus d’avoir réparé l’outrage, il en avait ramené trois scalps.
Le soleil était en train de mourir, teintant de pourpre toute la région.
Il regarda la blessure sur son flanc, le sang n’avait pas cessé de couler depuis qu’il avait gravit la pente rocheuse surplombant le ravin… Et la flaque au sol s’était élargie formant désormais de minces filets qui entraînaient, lentement et inexorablement, sa vie loin de lui… Les visages pâles étaient faibles, mais pas les bâtons de feu qu’ils appellent "fusils".
Une brise légère se leva tout autour de lui, caressant son visage et ses cheveux.
C’était vraiment un bon jour pour mourir…
Et c’était une bonne mort aussi.
Doucement, bercés par la mélodie du vent, ses yeux se fermèrent, laissant ainsi s’échapper une dernière larme.
Au loin, un aigle cria…
Rendant son dernier souffle, il put enfin laisser son esprit s’élancer vers les cieux.