Ouf ! Me voilà enfin à la maison.
Je replie le parapluie et le dépose sur le paillasson où il va dégouliner le temps que j’ôte mes chaussures. J’ai laissé tomber mon sac à main le long du mur de l’entrée. Mon imper commençant à marquer le carrelage d’une trainée humide, prestement, je l’enlève, le replie sommairement, récupère le parapluie et en quelques enjambées prudentes, afin que mes pieds nus dans mes bas ne glissent, je gagne la salle de bain et je les lâche dans le bac à douche. Puis, j’attrape une serviette en éponge, frotte vigoureusement mes cheveux, respire un grand coup. Je me regarde dans la glace et un rire me secoue. Ouh la la, j’ai besoin d’un bon coup de peigne pour discipliner un peu ma tignasse. Je m’exécute, puis, je prends mon ciré et le suspend sur le cintre laissé la veille pour le cas où la météo ne s’améliorerait pas.
Faisant fi des superstitions familiales, j’ouvre en grand cet accessoire destiné à sauvegarder nos corps des caprices pluvieux du ciel et l’équilibre tant bien que mal sur le rebord de la baignoire.
Je regagne l’entrée, ramasse mon sac pour le ranger à sa place sur le meuble du vestibule et referme ma porte. J’ai de la chance d’habiter au dernier étage et de ne partager le palier qu’avec un jeune couple parti pour des vacances à la neige.
Un frisson me parcoure le dos, je me dis qu’une tasse de thé me réchaufferait. Je me dirige vers la cuisine et ma main droite machinalement plonge dans la poche de mon gilet. Un sourire s’esquisse sur mon visage quand je retire un petit pain de sa « cachette ». Il est froid, un peu rassis, mais toujours de cette belle couleur dorée qu’il arborait sur mon plateau à la cafétéria de l’usine ce midi. Je ne l’ai pas mangé, plus très faim après le hachis parmentier hebdomadaire. Mais, je n’ai pas voulu l’abandonner au triste sort qui l’attendait entre deux assiettes vides, un verre sale et une tasse à café. Une main lasse et gantée de plastique jaune l’aurait attrapé sans ménagement pour le jeter au milieu d’autres détritus dans l’attente du broyeur ou de l’incinérateur. Triste destin !
Je le dépose doucement sur le plan de travail. Je prends la bouilloire électrique la remplie à moitié d’eau du robinet et appuie sur le bouton de marche après l’avoir reposée sur son socle. Mes mains s’activent entre la théière dans laquelle la boule emplie d’un mélange aux senteurs vanillées vient tout naturellement se glisser, une tasse en fine porcelaine blanche bordée d’un liseré doré, une planche en bois et une scie à pain.
Le petit pain est délicatement ouvert en deux par des dents affutées. Sa mie blanche s’offre à mon regard. Mes doigts le déposent dans la fente du grille pain et en actionnant le levier, le laissent descendre entre deux rangées de résistances qui rougissent de voir cette gourmandise venir se réchauffer et se parer de couleurs plus ensoleillées. Un clic, et mes narines respirent la bonne odeur de grillé qu’il exhale pour se rendre plus appétissant.
Hum ! La bouilloire émet un clic pour me prévenir que l’eau frémissante n’attend que mon bon vouloir pour se verser dans le récipient qui l’attend et ensorceler chaque brisures de feuilles afin d’en extraire toutes les senteurs des pays lointains qui les ont vu naître. Je procède au rituel et dépose le tout sur le plateau. Les deux morceaux du petit pain encore chauds viennent attendre sur une soucoupe.
Mes yeux ont effleuré un pot en verre empli de ce délicat mélange de cacao onctueux au parfum rehaussé de petites touches de lait, de sucre et de noisette. Des frissons provoqués par le métal froid d’une cuillère parcourent ma main, mon poignet se courbe, un sourire gourmand s’esquisse sur mes lèvres, mes yeux rieurs se plissent doucement. La pâte à tartiner coule sur la mie tiède, emplit chaque petit trou, s’uniformise sous la chaleur. Le parfum excite mes papilles et je salive au plaisir à venir. Un peu de pâte est restée collée à la cuillère, gourmande je la lèche à petits coups de langue affamés, mon imagination m’entrainant vers des comparaisons sensuelles…
Un coup de klaxon dans la rue me ramène abruptement à la réalité, j’emporte le plateau sur la table basse du salon.
Je m’assieds dans le fauteuil, repliant mes jambes sous moi. Je penche mon buste, prends la théière d’une main, tiens le couvercle de deux doigts de l’autre main et laisse couler le liquide ambré lentement dans la tasse. Mon regard s’égare vers la petite assiette et lorsque mes doigts s’emparent de la gourmandise improvisée, je ne peux que penser : « Voilà un bien meilleur destin pour ce petit pain ! », juste avant de le croquer avec des murmures de plaisir.
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A la demande de Guido ... une image ... une scène ... et encore du pain et du chocolat...