D’aussi loin que je me souvienne, Didier Daeninckx est le premier auteur connu que j’ai eu la chance de rencontrer.
Certes, Daeninckx n’était pas "mon" premier écrivain. Avant lui, mon père, avec talent et probablement même brio, avait commis quelques chapitres de l’anthologie "Géologie appliquée aux sous-sols et fondations", présente dans toutes les bonnes bibliothèques géologiques des entreprises de Bâtiments et Travaux Publics s’occupant de sous-sols et de fondations. Mais, pour des raisons obscures (sic !), je n’ai pas lu l’ouvrage.
Daeninckx a donc été, de mon état conscient, le premier auteur dont j’avais lu et aimé les livres à qui je pouvais dire :
J’ai lu vos livres et je les ai aimé !
Les autres étaient inaccessibles : Steinbeck et Hemingway, américains mais, surtout morts, comme Fitzgerald ; Soljenitsyne : en fuite du goulag quelque part dans le monde ; Hugo : au Panthéon ; Céline : fort justement au purgatoire ; Aragon : dans les bras d’Elsa ; Buzzati : dans une Bugatti (j’imagine) ; Vian : dans Sullivan (et réciproquement) ; Sartre dans sa salle de bain en train de mater Simone sous la douche (l’enfer c’est l’autre chaude).
Quant au "polar", qui était et n’est pas loin de rester, mon genre favori, malgré Manchette, Vautrin, Pouy, Topin et même ADG (avant qu’il ne puisse plus du tout écrire victime de goutte du bras tendu, dit syndrome du salut nazi), je n’imaginais pas qu’il pouvait être autrement qu’américain, urbain, gonflé d’une violence typiquement ricaine faite de conflits raciaux, d’affaires de pègre, de drogue ou de putes sur fond de jazz, du bop au free. J’ai découvert et adoré l’Amérique, paradoxalement, et le jazz par le polar et le polar par l’Amérique et le jazz.
Et puis il y avait Daeninckx et son polar français, très français, social, révolté, encré dans son temps, en lutte, plein d’esprit, rouge, noir ! La lutte des classes par le sang et la revanche sans condition.
Daeninckx, c’est facile, évident, drôle, intéressant, méchant, intelligent, ... On dit que le silence après Mozart est encore du Mozart. L’obscurité après Daeninckx c’est encore du Mozart !
Dans mes poches, sur ma table de chevet, dans mes toilettes, même, et vous savez bien que cet endroit est chez moi d’une importance capitale, cabinet d’aisance, de lecture, de réflexion, se trouvent immanquablement "Meutres pour mémoire" et, surtout, "Lumière noire". Mais un peu plus loin, en bonne place dans les bibliothèques qui peuplent ma vie, sa bibliographie complète (ou presque) vit sa vie au rythme des retraits et rangements dans les rayonnages.
J’ai rencontré Didier (m’autorisera t’il un jour à l’appeler Didier ?) chez lui, à Stains je crois. Il m’a accueilli en grand homme simple comme je savais, pensais, esperais qu’il fut. Plus sympathique même que prévu il me pardonnait très vite d’être le jeune journaliste débutant, hésitant, pas très pointu, pas très bon, bégayant, minuscule. Il n’avait pas besoin de ma minuscule pour être géant.
Je ne souviens plus en détail de ce dont nous parlêmes si ce n’est que, probablement, je l’interrogeais sur son métier et son parcours, comment l’ancien ouvrier imprimeur était devenu écrivain. La bande du Nagra tournait mais elle aurait pu s’arrêter que je ne l’aurais pas remarqué. J’étais captif. et ma curiosité personnelle dépassait de loin l’objectif professionnel de cette visite puisque que j’avais le secret espoir de le rejoindre un jour dans la "Série noire" chez Gallimard, avec l’écueil, néanmoins, de ne rien avoir encore écrit de conséquent à part de longues lettres d’amour pénible qui emmerdaient leurs destinataires et partaient probablement à la corbeille sitôt lues, dans le meilleur des cas.
Un moment, il fallu bien que je parte. Dans la rue, je le saluais et je marchais vers ... le métro ? le bus ? le train ? en souriant bêtement, fan ayant rencontré son idole sans en être déçu, comme une Bernadette lourdée, en extase incontrôlée.
De retour au studio, j’écoutais les bandes et je montais l’interview dans le format voulu, soit cinq fois quinze minutes aérée par une musique idoine. L’angle : l’aventure littéraire.
Je fis écouter à mon chef d’antenne et je crois que le sujet a été diffusé entre les récits d’un navigateur solitaire et les exploits d’un alpiniste à mains nues.
Mais Daeninckx appela le soir même, ou le lendemain, à moins que ce ne soit moi qui le fis. J’avais chez lui oublié mon agenda/carnet d’adresses avec ma carte de presse à l’encre encore humide de fraîcheur.
Il me proposa de m’envoyer le tout par la poste et je refusais, trouvant ici prétexte à le revoir, benoîtement et, bien que courte (quelques minutes) cette deuxième rencontre fut encore plus exaltante que la première puisque sans grand objet autre que ma dévotion et mon carnet.
Quelques années plus tard alors qu’au Grand Palais je me droguais honteusement en sniffant, touchant et achetant de nombreux ouvrages au Salon du Livre, je revis Didier.
Il n’avait pas changé. Cheveux mi-longs poivre et sel, moustache, ... Seule la file d’attente pour se voir dédicacer son dernier opuscule (Play Bac ?) avait gonflé au fil des ans. Auteur connu, reconnu, réputé, brillant, Daeninckx était (déjà) une personnalité dans la littérature française.Je me mis dans la file après avoir acheté son livre.
Arrivé à mon tour, je ne savais pas encore si je devais, si je pouvais lui rappeler notre précédente rencontre. Et, sur le fil, je décidais de ne rien dire.
Didier me regarda quelques secondes, avec grande attention. Puis il saisit mon exemplaire, l’ouvrit et se mit à écrire. Il signa et me tendit le livre.
Merci !
Merci à vous !!!
Qualques mètres plus loin, précautionneusement, j’ouvris le livre.
" Meilleurs souvenirs d’un carnet oublié. Amicalement. D Daeninckx"
Non !
En fait, et j’ai le volume qui surveille mon sommeil, l’encre noire dit :
"Meilleurs souvenirs du salon du Livre. Amitiés. D. Daeninckx"
Et, franchement, cela suffit à mon bonheur. Amplement !