Dis moi frère de misère, dis moi, les oiseaux chantaient-ils dans ces temps de tristesse et d’effroi ? Moi je ne m’en souviens plus, c’est à peine d’ailleurs si j’entendais mon cœur battre.
Et le vent dans les branches, et le chant de la pluie sur les toits, les remarquions nous ? Je ne me souviens plus que des claquements de bottes et du bruit des fusils, j’ai retenu aussi la litanie des noms, égrenée chaque jour, de plus en plus courte, de présence en absence.
Dis moi frère de misère, dis moi, sentions nous la bonne odeur du pain et du ragoût de viande et de pommes de terre ? Je n’ai sur la langue qu’un goût de putréfaction, d’asticots et de cafards.
Et le parfum des fleurs et des lilas blancs, pourquoi n’en ai-je aucun souvenir ? La terre refusait-elle ne nous donner la douceur d’espérer ? Par contre, je sais l’odeur acre des fours et de la mort, je sais la sueur et la puanteur de la charogne.
Dis moi frère de misère, dis moi ont-ils fait de nous des êtres dénués de toute mémoire ? Je n’ai devant les yeux que ces visages décharnés dont les yeux trop grands imploraient la pitié. Quand mon cœur affronte le passé, je ne vois plus que des bouches ouvertes, que des cris étouffés et des plaintes silencieuses.
Ils nous ont tout volé mon frère, jusqu’à l’envie d’oublier...