Jésus regarda dans le vide. Diable ! Que c’était haut. Il était sujet au vertige et puis on était samedi et les anges étaient en congés.
Après toi.
Le Diable fut fort étonné et tonna :
Mais ce n’est pas dans le script !
Jésus lui prit le texte des mains.
C’est écrit en tout petit, là, en bas de la page.
Le Diable regarda, s’échinant à déchiffrer sur le papier quelque peu déchiré, courbé en avant pour y voir plus clair, car comme chacun le sait, le Diable est myope, mi-salope. Il était tentant d’agir, tant et si bien que Jésus, tenté, tenta le coup. Il profita de cette courbure de Satan, à défaut de courbure du temps pour le pousser dans le vide. Puis il s’assit sur un rocher en se disant que le temps que le Malin mettrait pour arriver en bas puis pour remonter serait toujours un moment de répit de pris.
Il ne fallu pas longtemps au cornu pour réapparaître, haletant, les sabots tout fumant tant il s’était hâté.
Ah, c’est malin ! dit le Démon en retirant sa main ; il ressentait une douleur à l’aine, douleur accrue par cette course à perdre haleine.
Ah, c’est malin ! dit-il donc, sans vouloir faire de jeu de mots, sous l’œil faussement surpris de Jésus qui, s’il avait peur de perdre pied du fait de sa propension à craindre le vide n’en perdait pas pour autant la tête.
N’oublions pas que Jésus est très nature, « peace and love » et tout le toutim et que la nature a horreur du vide.
Tiens ! Te revoilà ? Mais où donc étais-tu passé ?
Le Diable ne répondit pas quelque peu vexé et vraiment crevé.
Après qu’il eût repris ses esprits et Dieu sait qu’il en a beaucoup en enfer, le Diable qui ne perdait pas le Nord, car, comme chacun le sait, l’enfer est au nord, juste à l’est d’Eden, dit :
C’est à ton tour maintenant.
Jésus ne broncha pas, ne cilla point, ne serra même pas les poings, demeurant aussi calme que s’il n’avait pas entendu l’invitation, que dis-je, la tentation du Diable.
Ben quoi ! Attends-tu que je te pousse à mon tour ? J’avoue que c’est tentant.
Que nenni ! Répondit Jésus, sur un ton guilleret et très sûr de soi.
Regarde en bas, j’y suis.
Jésus venait de se rappeler qu’il était doué, voire même très doué, du don d’ubiquité, caractéristique très pratique qui permet d’économiser du temps en se déplaçant plus vite qu’un TGV et tout ça sans bouger. Le Diable maugréant se pencha à nouveau et râla, forcé de constater les faits. Le Saint esprit qui voletait par là, descendit sous les traits d’une buse, histoire d’avoir un peu plus de coffre et souffla sur l’ange déchu, qui chut une fois de plus, sous l’œil amusé de Jésus qui se marra deux fois, au départ comme à l’arrivée, puisqu’il était à la fois en haut et en bas.
Le Diable ne savait plus à quels saints se vouer ; il faut reconnaître que pour ce faire il n’était vraiment pas gâté car tous les saints qu’ils soient jeunes et fermes ou croulants et gâteux l’avaient rejeté.
Cahin-caha, il remonta et arriva tout essoufflé. Ahanant comme un âne, un baudet bardé de fardeaux. Il s’assit à côté de Jésus.
Ce n’est pas du jeu ! Tu triches.
Comment ça je triche. Mais tu blasphème Démon !
Un peu plus un peu moins, de toute façon je suis cuit…
À ce propos, je me suis laissé tenter par une nouvelle chaudière… la mienne est en fin de vie et même en enfer cela ne peut convenir, elle va lâcher c’est sûr. La nouvelle aurait un meilleur rendement, une plus grande capacité, ce qui ne serait pas du luxe pour Lucifer…
Tu ne ris pas, tu ne souris pas à mon jeu de mots, luxe, lux, pour Lucifer.
Non ! Satan, prince de tous les maux. Ton discours m’indiffère, tes jeux de mots ont goût de réchauffé.
Réchauffé ! Je voudrais t’y voir, en enfer, à essayer de garder la tête froide.