Jésus ne réagit pas tout de suite, il admirait le panorama style Cecil B. DeMille, un superbe décor qui avait dû coûter une fortune ; l’auteur ne se refusait rien.
Le Diable, lui, impatient d’obtenir une approbation, ne songeait qu’à l’enfer du décor. Il voyait le mal partout mais cela ne le consolait qu’un tant soit peu. Pourvu que la chaudière tienne encore le coup se disait-il, craignant un « Non » retentissant de la part du Messie.
C’est alors que Jésus, sortant de sa rêverie, reprit la conversation.
Là, tu marques un point. Tu n’as pas tord. Les dés sont pipés.
Donc tu triches ! S’exclama Lucifer, qui, surpris, avait failli perdre de fil.
Je n’ai pas pipé les dés, Démon. Tu as faussé le jeu en claquant la porte. Et puis quoi ! Tu es parti avec la lumière, nous laissant dans le noir.
Que nenni Divin Messie, Vous avez pété les plombs, Vous avez disjoncté tous les trois et Vous vous êtes retrouvés dans le noir. Et puis n’en faites pas toute une histoire, ça n’a pas duré, vous avez balancé le noir aux hommes pour une vulgaire histoire de pomme.
Tais-toi ! Ne pipe mot à personne de cela.
J’avoue en avoir été tenté… Bon, tu sautes ?
Mais c’est une idée fixe ! Que veux-tu prouver ? N’est-il pas écrit tu ne tenteras pas le seigneur ton Dieu !
Sur le coup, le saigneur vit rouge. Jésus lui en ressortait toujours une de derrière les fagots, et pour lui, le Diable, qui rêvait de faire feu de tout bois, cela devenait insupportable ; hautain, vexé par cette répartie, il faillit se lever et partir, mais il se ravisa, il y avait une chaudière en jeu.
Mon Dieu ! Je l’avais oubliée celle là ! C’est toi qui l’as écrite ? dit-il, plein d’ironie.
Non, ce n’est pas moi mais j’y adhère totalement. Revenons-en à notre discussion…
Jésus ne s’en laissait pas conter, et Satan savait avoir fort à faire, lui Lucifer, avec ce fils de Dieu, ce rejeton du Tout Puissant.
À ce moment là, la buse, euh non, l’esprit saint, dont les oreilles avaient sifflé se pointa apparemment mécontent et là-haut dans le ciel on entendit comme le bruit d’un volet qu’on rabat violemment.
Aïe, on dirait bien qu’on a réveillé ton père, ça va chauffer, ce qui n’est pas pour me déplaire, mais dans sa colère, le Vieux pourrait bien me refroidir, je préfère retourner à mes fourneaux, je m’éclipse…
Puis se faisant mielleux…
Dis, tu penseras à ma chaudière ?
Jésus ne répondit pas. Il n’était pas fâché de voir Lucifer s’éclipser. Le bougre sentait le souffre à plein nez, à un point tel… que c’en était indisposant.
D’un autre côté, la discussion inachevée lui laissait un goût amer. Il aurait voulu, une fois de plus, rabattre sa superbe à ce maudit manipulateur. Et cette histoire de chaudière… Décidément il ne manquait pas d’air ce Lucifer.
La voix tonna.
Alors Fils ! Que se passe-t-il encore qu’on me réveille avec tout ce vacarme.
Vous avez l’ouïe fine mon Père ! Ce n’était rien que Satan qui savamment tentait une fois encore de me tenter.
Et alors !
J’ai failli succomber.
Comment !
J’ai failli succomber à une grosse fatigue… Ce Belzébuth est par trop assommant. Lui avoir en un temps confié la lumière passe encore… Mais l’avoir doté de la parole, je serais tenté de dire…
Pardons ! Tu mets en cause mes choix, mes décisions ! Méfie-toi Fils ! Ne succombe pas à la tentation de tenir tête à ton Père, à ton Dieu, à Moi, quoi !
Voyons Père !
Le Diable dont une oreille traînait encore dans le secteur se frotta les mains. Pensant tout bas : « Si ça continue ainsi, je pourrais bien l’avoir plus vite que prévu ma chaudière… et garnie encore. »
L’histoire ne nous dit pas si Belzébuth eut gain de cause. Ce qui est sûr, c’est qu’à voir comme tourne notre monde et à quel point nous perdons la boule, il ne faudrait pas que sa chaudière rende l’âme, car là, (sans jeu de mots) ce serait vraiment l’enfer.